Rimes familières | Page 5

Camille Saint-Saëns

La faim, la soif, n'ont rien dont le coeur se désole,
Ni le soleil de feu,
ni le désert géant;
Qu'importe! ils ont l'Amour: de tout il les console
Et le reste est néant.
Car l'Amour, engendrant voluptés et tortures,
N'était pas dans l'Eden
aux vertus condamné:
Il fallait pour qu'il fût connu des créatures
Que le crime fût né.
C'est sur le Désespoir que fleurit l'Espérance;
Pour que le Rut devînt
l'Amour prodigieux
Il fallait aux humains le remords, la souffrance
Et les pleurs dans les yeux.
_Sicut Dii!_ Ce mot du tentateur suprême
Était-ce donc vrai: le Mal
nous a divinisés.
L'Homme innocent jamais n'eût connu par lui-même
Tout le prix des baisers!
Ils changent notre bouche en exquise blessure
Par où coule à longs
traits le sang des coeurs maudits,
Nous rendant chaque jour, mortelle
nourriture,
Le fruit du paradis.
II
Tu savais bien, Iaveh! qu'en sa chair frémissante
L'Homme, prompt à
bénir et prompt à blasphémer,
Cache une âme qui brûle, à vouloir
impuissante

Et faite pour aimer!
Tu mets près de la lèvre un fruit qui la désire;
Tu dis: c'est le plaisir;
n'y touchez pas! pourquoi?
Sous notre pied glissant l'abîme nous
attire:
Qui l'a creusé? c'est toi!
Sentant de ton pouvoir s'ébranler l'édifice,
O Dieu cruel! en vain pour
racheter le Mal
Tu donneras ton Fils, offert en sacrifice
Comme un vil animal!
Trop tard! le blé se sèche et l'ivraie est fertile!
Trop tard! le Mal a fait
son oeuvre pour toujours!
Ton Fils sur un gibet souffre et meurt
inutile:
Et l'Homme, plein de jours,
Dédaignant tes Edens, méprisant tes supplices,
Laissant aux
chérubins ta céleste Sion,
Bravant la mort, l'enfer, se plonge avec
délices
Dans la Damnation.
_Sicut Dii!_ non! non! le tentateur des âmes
N'a pas dit vrai: car
l'Homme est plus grand que les Dieux, Qui, n'ayant pas brûlé des
diaboliques flammes,
Se contentent des Cieux!
L'Homme règne en vainqueur sur la Terre sublime.
Il vit: les Dieux
sont morts ou se taisent, lassés:
Son front touche le ciel, son pied
fouille l'abîme:
Lui seul, et c'est assez.

SONNETS
CHARLES GOUNOD
Son art a la douceur, le ton des vieux pastels.
Toujours il adora vos
voluptés bénies,
Cloches saintes, concert des orgues, purs autels:

De son oeil clair il voit les beautés infinies.
Sur la lyre d'ivoire, avec les Polymnies,
Il dit l'hymne païen, cher aux
Dieux immortels.
«Faust» qui met dans sa main le sceptre des génies

Égale les Juans, les Raouls et les Tells.
De Shakspeare et de Goethe il dore l'auréole;
Sa voix a rehaussé
l'éclat de leur parole:
Leur oeuvre de sa flamme a gardé le reflet.
Échos du mont Olympe, échos du Paraclet
Sont redits par sa Muse
aux langueurs de créole:
Telle vibre à tous vents une harpe d'Éole.
À M. HENRI SECOND
Réponse à son sonnet
_Peines d'amour perdues._
Si nous nions le jour pour la lueur fugace,
C'est que depuis l'aurore on
égare nos pas,
Avec un soin jaloux nous dérobant la trace
Du droit
chemin, qu'hélas! nous ne connaissons pas.
Le poison du mensonge a nourri notre race,
Le venin dans la coupe
abreuve nos repas:
En nos veines il coule et du sang prend la place;

Le pain de vérité nous donne le trépas.
L'esprit faussé depuis la première jeunesse,
Comment
goûterions-nous les vrais biens? notre coeur
A senti du Serpent la
trompeuse caresse;
Il prend pour l'Idéal une impossible ivresse,
Méprisant la Nature et le
simple bonheur:
Le Vrai voile sa face et le Faux est vainqueur.

À M. GEORGES AUDIGIER
Non, _loin des yeux_ n'est pas _loin du coeur_! le contraire Pour les
âmes d'élite est plutôt vérité.
Quand d'amis sérieux il s'est fait une
paire,
L'un ne trahit pas l'autre après l'avoir quitté.
L'éloignement détruit l'amitié du Vulgaire
Pour qui coule toujours
l'eau du fleuve Léthé;
C'est un sable mouvant: Bien fol et téméraire

Qui se fierait jamais à sa solidité!
À nous qui caressons la divine chimère
Et dont les hauts pensers se
rencontrent aux cieux,
Que font en plus, en moins, quelques pas sur la
terre?
Loin de l'Antiquité, nous adorons ses dieux,
Nous chérissons Virgile
et vénérons Homère;
Désirant nous revoir nous nous aimerons mieux.
À M. R. DE LA B***
En Espagne, mais loin du Tage
Quand je me promène en chantant,

Avez-vous retrouvé Carthage
Aussi belle qu'en la quittant?
Vous êtes fidèle à l'image
D'un passé bien vague pourtant.
Vous
accuser d'être volage
Serait un mensonge éclatant.
Jeune homme, vous êtes un sage!
Vous ne suivez pas le mirage

D'un prisme mobile et changeant:
Vous marchez droit, avec courage,
Guidé par le pas diligent
De
Minerve au casque d'argent.
CADIX
Blanche, verte et rosée,
Ignorante des maux,
Cadix, perle irisée

Dans le reflet des eaux,
Par la chaleur lassée
Préfère aux durs travaux
Du corps, de la

pensée,
Les courses de taureaux.
La baie immense creuse
Sa coupe radieuse
Pleine d'azur subtil;
Cadix, joie et délice,
De l'énorme calice
Est l'éclatant pistil.
LE FOUJI-YAMA
La solitude sied à l'âme endolorie
Lasse de tout plaisir et veuve du
bonheur
Qui n'a plus rien à craindre et se sent aguerrie
Contre l'âpre
destin par l'excès du malheur.
Vous qui souffrez et qui pleurez, n'ayez pas peur
D'être seuls; de vos
maux il se
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