Rimes familières | Page 7

Camille Saint-Saëns
ne
cherchez pas le mystère
De la racine sous la terre!
LA STATUE
Le sculpteur modèle l'argile;

Puis, prenant le marbre indocile,
Le
pétrit dans sa main habile
Avec un patient effort;
Ou bien sous sa fière tutelle
Il soumet le bronze rebelle:
Si la
matière en est moins belle,
Pour vaincre le temps il est fort;
Et contre ce temps qui le tue
L'Homme en vain lutte et s'évertue,


Quand, bronze ou marbre, la statue
Immobile, impassible, voit
De son oeil fixe et sans prunelle
Passer les siècles devant elle
Et
s'avancer l'ombre éternelle
Qui sur le passé toujours croît.
Tristes autels où se consume
Un reste de tison qui fume,

Enfoncez-vous dans cette brume
Où le soleil ne luira plus!
Les dieux meurent: leurs temples vides
Sont comme ces déserts
arides
Où frissonnaient jadis les rides
Des grands océans disparus;
Mais l'Art a conservé l'image
Du dieu que vénérait le mage
Et que
le fou comme le sage
Venait adorer en tremblant:
Ce n'est plus le dieu qu'on adore;
C'est sa forme vivante encore,

C'est la Beauté, divine aurore
Sortant, pure, du marbre blanc!
MORS
Pourquoi craindre la mort? pourquoi s'effrayer d'elle?
La mort est chose naturelle:
Naître, vivre et mourir, c'est tout
l'homme en trois mots.
Comme aux flots succèdent les flots,
Comme un clou chasse l'autre,
un homme prend la place
De celui qui vivait hier, et qui n'est plus;
On s'en va sans laisser de trace.
C'est la loi. Les derniers venus
Reprennent le fardeau qui tombe de l'épaule
Des anciens fatigués par
le rude chemin
Qui va de l'un à l'autre pôle.
Ils ont marché longtemps; le repos vient
enfin.
On devrait le bénir, et comme une caresse
Accueillir le baiser
de l'obscure déesse.

Ah! dit l'homme, autrefois, quand on avait l'espoir
D'un bonheur
éternel, en s'endormant au soir
De la vie, on croyait que sous la froide
pierre
S'ouvrait un gouffre de lumière;
La mort était alors un bien.
Mais
quoi! songer, en mon destin morose,
Qu'après avoir vécu je ne serai
plus rien...
--Crois-tu donc être quelque chose?
LE PAYS MERVEILLEUX
_À M. Albert Périlhou._
Lorsqu'on a cheminé bien longtemps dans la plaine.
Que les pieds
sont lassés du chemin parcouru,
On voit surgir au loin, vision
surhumaine,
Le mont géant. Il est brusquement apparu,
Enveloppé
d'azur et baigné de lumière;
Plus haut que la nuée aux contours
éclatants
Il élève sa cime; on dirait qu'à la Terre
Il est extérieur: ses
pics étincelants
Se dressent radieux dans un monde de gloire;
C'est
le pays rêvé, c'est l'Olympe des Dieux
Qui boivent le nectar sur des
trônes d'ivoire,
C'est l'Idéal! montons, allons vivre en ces lieux

Enchantés! gravissons la montagne, courage!
Encor! montons encor!
toujours! élevons-nous
Au-dessus des forêts, au-dessus de l'orage

Qui pour nous arrêter roule d'effrayants coups
De tonnerre, et
soufflant ses bruyantes rafales
Brise et disperse au loin les branches
des sapins;
Là-haut plus de tempête, et plus de brouillards pâles
Qui
voilent le soleil! les vigoureux alpins
Bravant sans hésiter fatigues et
vertiges
Auront pour récompense un séjour merveilleux
Interdit à
jamais aux faibles; des prodiges
Attendent le regard de ces audacieux

Qui méprisent le sol où rampent les timides.
En route vers les cieux,
loin des plaines humides,
En avant!
--Mais le roc a déjà remplacé
La terre verdoyante et les pentes
fleuries;
Malgré l'ardent soleil, c'est un souffle glacé
Qui tombe sur

nos fronts; nos mains endolories
S'écorchent au contact de la muraille
à pic
Qu'il faut escalader au risque de la chute.
Plus un être vivant:
le scorpion, l'aspic.
Habitants des déserts, abandonnent la lutte

Avec une nature implacable. Voici
La neige immaculée, et voici dans
la glace
Perfide qui se fend, s'entr'ouvre, et sans merci
Nous
engloutit, l'affreux piège de la crevasse.
Enfin l'air manque, et l'on
respire avec effort...
Le pays merveilleux est celui de la mort.

Et c'est la plaine alors, la plaine dédaignée,
Déroulant à nos pieds des
tableaux inconnus,
Qui dans l'azur et dans la lumière baignée

Oppose sa richesse aux rochers froids et nus.
La vie à sa surface est
partout répandue:
Confondant sa limite avec celle du ciel,
L'oeil ne
peut mesurer son immense étendue...

O mirage qui fais d'un calice de fiel
La coupe dont l'éclat fascinant
nous attire,
Tu nous trompes toujours! l'inassouvissement
De l'âme
des humains est l'éternel martyre,
Et de leur fol orgueil l'éternel
châtiment.
BOTRIOCÉPHALE
BOUFFONNERIE ANTIQUE
PERSONNAGES:
BOTRIOCÉPHALE. FAUNE.
ALECTON. FURIE.
BOTRIOCÉPHALE
_À M. Coquelin Cadet._
SCÈNE PREMIÈRE

Un bois. BOTRIOCÉPHALE, seul. Il est très jeune, adolescent, d'une
grosseur énorme et d'une laideur repoussante.
BOTRIOCÉPHALE.
En vain j'en ai douté longtemps... je suis fort laid.
Un Faune n'est
jamais très joli; mais il est
Des laideurs... vous savez bien ce que je
veux dire,
Et ce n'est pas du tout mon cas. J'apprête à rire!
Aussi
large que haut, disgracieux, ventru,
Si je parle d'amour je suis un
malotru.
--Une Nymphe s'enfuit: c'est pour qu'on la rattrape
Dans
les saules; sa fuite est l'amoureuse trappe
Où se prend la candeur des
Faunes ingénus
Immolés par Éros à sa mère Vénus.
On adresse en passant une parole osée
Aux belles dont les pieds
s'étoilent de rosée:
Les belles font semblant d'avoir peur. Avec moi

C'est différent: j'excite un redoutable émoi,
Car je n'ai jamais fait mes
frais. Sort misérable!
J'attendrirais plutôt le chêne ou bien l'érable

Au coeur dur, le rocher par Sisyphe roulé,
L'enclume de Vulcain,
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