Rimes familières | Page 7

Camille Saint-Saëns
on dirait qu'à la Terre?Il est extérieur: ses pics étincelants?Se dressent radieux dans un monde de gloire;?C'est le pays rêvé, c'est l'Olympe des Dieux?Qui boivent le nectar sur des tr?nes d'ivoire,?C'est l'Idéal! montons, allons vivre en ces lieux?Enchantés! gravissons la montagne, courage!?Encor! montons encor! toujours! élevons-nous?Au-dessus des forêts, au-dessus de l'orage?Qui pour nous arrêter roule d'effrayants coups?De tonnerre, et soufflant ses bruyantes rafales?Brise et disperse au loin les branches des sapins;?Là-haut plus de tempête, et plus de brouillards pales?Qui voilent le soleil! les vigoureux alpins?Bravant sans hésiter fatigues et vertiges?Auront pour récompense un séjour merveilleux?Interdit à jamais aux faibles; des prodiges?Attendent le regard de ces audacieux?Qui méprisent le sol où rampent les timides.?En route vers les cieux, loin des plaines humides,?En avant!
--Mais le roc a déjà remplacé?La terre verdoyante et les pentes fleuries;?Malgré l'ardent soleil, c'est un souffle glacé?Qui tombe sur nos fronts; nos mains endolories?S'écorchent au contact de la muraille à pic?Qu'il faut escalader au risque de la chute.?Plus un être vivant: le scorpion, l'aspic.?Habitants des déserts, abandonnent la lutte?Avec une nature implacable. Voici?La neige immaculée, et voici dans la glace?Perfide qui se fend, s'entr'ouvre, et sans merci?Nous engloutit, l'affreux piège de la crevasse.?Enfin l'air manque, et l'on respire avec effort...?Le pays merveilleux est celui de la mort.

Et c'est la plaine alors, la plaine dédaignée,?Déroulant à nos pieds des tableaux inconnus,?Qui dans l'azur et dans la lumière baignée?Oppose sa richesse aux rochers froids et nus.?La vie à sa surface est partout répandue:?Confondant sa limite avec celle du ciel,?L'oeil ne peut mesurer son immense étendue...

O mirage qui fais d'un calice de fiel?La coupe dont l'éclat fascinant nous attire,?Tu nous trompes toujours! l'inassouvissement?De l'ame des humains est l'éternel martyre,?Et de leur fol orgueil l'éternel chatiment.
BOTRIOCéPHALE
BOUFFONNERIE ANTIQUE
PERSONNAGES:
BOTRIOCéPHALE. FAUNE.
ALECTON. FURIE.
BOTRIOCéPHALE
_à M. Coquelin Cadet._
SCèNE PREMIèRE
Un bois. BOTRIOCéPHALE, seul. Il est très jeune, adolescent, d'une grosseur énorme et d'une laideur repoussante.
BOTRIOCéPHALE.
En vain j'en ai douté longtemps... je suis fort laid.?Un Faune n'est jamais très joli; mais il est?Des laideurs... vous savez bien ce que je veux dire,?Et ce n'est pas du tout mon cas. J'apprête à rire!?Aussi large que haut, disgracieux, ventru,?Si je parle d'amour je suis un malotru.?--Une Nymphe s'enfuit: c'est pour qu'on la rattrape?Dans les saules; sa fuite est l'amoureuse trappe?Où se prend la candeur des Faunes ingénus?Immolés par éros à sa mère Vénus.
On adresse en passant une parole osée?Aux belles dont les pieds s'étoilent de rosée:?Les belles font semblant d'avoir peur. Avec moi?C'est différent: j'excite un redoutable émoi,?Car je n'ai jamais fait mes frais. Sort misérable!?J'attendrirais plut?t le chêne ou bien l'érable?Au coeur dur, le rocher par Sisyphe roulé,?L'enclume de Vulcain, le fils de Sémélé,?Hercule, que la Nymphe aux yeux de violette?Qui bondit en chantant sur les flancs de l'Hymette!?Rester vierge est mon lot...--pour apaiser ma faim?Allons chercher des fruits, de la crème et du pain.
_Il sort tristement._
SCèNE II
ALECTON entre joyeusement. Elle est métamorphosée en nymphe; ses bras sont nus et ses cheveux retombent librement sur ses épaules. Type de beauté perverse et cruelle.
ALECTON.
Je viens de me mirer dans l'eau d'une fontaine.?Pluton n'a pas menti: la beauté souveraine?Me revêt de splendeur.--La Furie Alecton,?Noire comme la nuit, sèche comme un baton,?Serait méconnaissable à l'oeil le plus sagace;?Elle est Nymphe de pied en cap, Nymphe de race!?--Lasse à la fin de faire endurer des tourments?Aux morts, je veux aussi tourmenter les vivants,?Et l'amour malheureux est leur plus grand supplice!?C'est pourquoi j'ai voulu la beauté.--Mon caprice?A fait rire Pluton sur son tr?ne de jais.?--Je te donne congé, m'a-t-il dit. Va-t'en! mais?Crains les jeunes amants dont la fierté superbe?Fleurira sur tes pas comme chardons dans l'herbe!?Qu'un seul prenne un baiser sur ton joli menton?Et la Nymphe aussit?t redevient Alecton.?--Un baiser! et pourquoi le laisserais-je prendre??Parce que je suis belle, en serai-je plus tendre??Je méprise l'amour: son charme tant vanté?Me semble fade ainsi que l'eau du froid Léthé.?Des feux s'allumeront aux rayons de ma face,?Mais ils ne fondront pas mon coeur: il est de glace?à jamais...
SCèNE III
ALECTON, BOTRIOCéPHALE, qui rentre tenant une corbeille de fruits.
BOTRIOCéPHALE, _à part._
--Une Nymphe au regard inconnu!
ALECTON, _à part._
Un Faune au ventre énorme, au vaste front cornu!
BOTRIOCéPHALE, _à part._
Vient-elle de l'Olympe ou des bois du Taygète?
ALECTON, _à part, avec une curiosité bienveillante_.
Comme il est gros et lourd! la monstrueuse tête!
BOTRIOCéPHALE, _à part._
O Vénus! qu'elle est belle!
ALECTON, _à part, avec admiration._
O Pluton! qu'il est laid!?Je n'ai jamais vu rien...
BOTRIOCéPHALE, _toujours à part._
Une jatte de lait...
ALECTON, _toujours à part._
D'aussi difforme...
BOTRIOCéPHALE.
...Est moins blanche que son visage...
ALECTON.
Même aux enfers...
BOTRIOCéPHALE.
Mais quoi, si je ne suis pas sage,?Elle me chantera bient?t turlututu?Comme les autres; mieux vaut se taire.
ALECTON, _à Botriocéphale._
Où vas-tu,?Faune?
BOTRIOCéPHALE, _toujours à part._
Brillants et purs, ses yeux sont deux étoiles.
ALECTON, _à part._
L'araignée est moins laide au milieu de ses toiles.
BOTRIOCéPHALE.
Je n'oserai jamais...
ALECTON, _à Botriocéphale._
Tu ne me réponds pas,?Jeune Faune?
BOTRIOCéPHALE, _à Alecton._
J'allais faire un léger repas,?Du laitage, des fruits... bien que depuis l'aurore?Je sois dans la forêt, n'étant pas
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