Rimes familières | Page 6

Camille Saint-Saëns
papier.?Nourris d'un peu de riz, exer?ant un métier,?Ils travaillaient sans hate, en riant; leur envie?Se bornait simplement à jouir de la vie,?à cultiver des fleurs, à charmer leurs regards?Par tous ces bibelots qu'avaient créés leurs arts.?Ils poétisaient tout; chez eux les héta?res,?Adorables, étaient ?marchandes de sourires?.?De l'Extrême-Orient ils étaient l'Orient,?Et la Chine pour eux n'était que l'Occident.

Ils sont las d'être heureux! Il leur faut l'Industrie,?Le labeur écrasant, la machine qui crie,?Siffle, obscurcit l'azur de ses noires vapeurs,?Nos costumes sans go?t, sans formes, sans couleurs,?Notre vulgarité, nos chapeaux impossibles,?Nos pantalons, nos arts frelatés et nos bibles.?Ils étaient jolis dans leurs habits japonais;?Sous nos accoutrements ils veulent être laids.?Leurs femmes, d'élégance et de grace prodiges,?étaient comme des fleurs se penchant sur leurs tiges;?Elles pouvaient au monde imposer leurs atours,?Changer l'axe du beau, le thème des amours!?Mais telle qui tra?nait des robes de déesse?Avec nos falbalas n'est plus qu'une singesse.?C'en est fait! du Japon il faut faire son deuil,?Tuer l'illusion et clouer son cercueil.??L'Empire du Soleil Levant? n'est plus qu'un trope;?C'est l'Extrême-Occident, le singe de l'Europe!
L'ARBRE
L'arbre, dont on fera des planches,?Est vivant; il lève ses branches?Comme de grands bras vers les cieux;?Avec un murmure joyeux?Il agite son beau feuillage?Où l'oiseau plus joyeux que sage?En chantant viendra se poser;?Il donne à la terre un baiser?De fra?cheur, dans la forêt sombre;?On n'oserait compter le nombre?De ses feuilles et de ses fleurs;?C'est une fête de couleurs?Quand sa verdure monotone?S'enrichit aux feux de l'automne?De pourpre et d'or; dans ses ramures,?La nuit, comme en des chevelures?On voit briller les diamants?Aux yeux éblouis des amants,?Les constellations scintillent;?Des peuples d'insectes fourmillent?Sur lui, vivent de son sang clair,?Pur et limpide comme l'air?Qui baigne sa cime orgueilleuse;?L'enfant, la fillette rieuse,?Malgré son age et son aspect?Auguste, viennent sans respect?Cueillir avec des cris de joie?Ses fruits savoureux, douce proie!?Il est la force et la beauté;?Il est la vie et la gaieté;?à l'hamadryade pareille?Dans ses flancs se cache l'abeille...

La longue racine, sans bruit,?Trace son chemin dans la nuit.?Elle est l'obscure nourricière;?Tandis qu'inondé de lumière?L'arbre balance dans l'azur?Son front verdoyant, d'un pas s?r?Elle s'enfonce dans la fange;?L'arbre chante et rit, elle mange;?La feuille respire, au soleil?La fleur ouvre son sein vermeil;?Mais la racine vit sans joie:?Pour que l'arbre à nos yeux déploie?Tant de charmes et de splendeurs,?Il faut qu'au monde des laideurs,?De la pourriture fétide,?Elle plonge, dans l'ombre humide.?La froide limace, le ver,?Toute une faune de l'enfer?Rampe sur son écorce grise;?Elle s'insinue, elle brise?La pierre sous son lent effort;?Dans l'oeil de la tête de mort?Elle enfonce ses radicelles?Sans hésiter; elle est de celles?Qui ne s'arrêtent devant rien;?Pour elle il n'est ni mal ni bien.

Oh! Dans les rayons, les étoiles?Et l'azur, à travers les voiles?Des légers brouillards du matin,?Admirez l'arbre, le satin?Des feuilles, le velours des mousses,?Le vert tendre des jeunes pousses;?D'un oeil charmé voyez encor?L'éclat des fleurs et des fruits d'or:?Mais ne cherchez pas le mystère?De la racine sous la terre!
LA STATUE
Le sculpteur modèle l'argile;?Puis, prenant le marbre indocile,?Le pétrit dans sa main habile?Avec un patient effort;
Ou bien sous sa fière tutelle?Il soumet le bronze rebelle:?Si la matière en est moins belle,?Pour vaincre le temps il est fort;
Et contre ce temps qui le tue?L'Homme en vain lutte et s'évertue,?Quand, bronze ou marbre, la statue?Immobile, impassible, voit
De son oeil fixe et sans prunelle?Passer les siècles devant elle?Et s'avancer l'ombre éternelle?Qui sur le passé toujours cro?t.
Tristes autels où se consume?Un reste de tison qui fume,?Enfoncez-vous dans cette brume?Où le soleil ne luira plus!
Les dieux meurent: leurs temples vides?Sont comme ces déserts arides?Où frissonnaient jadis les rides?Des grands océans disparus;
Mais l'Art a conservé l'image?Du dieu que vénérait le mage?Et que le fou comme le sage?Venait adorer en tremblant:
Ce n'est plus le dieu qu'on adore;?C'est sa forme vivante encore,?C'est la Beauté, divine aurore?Sortant, pure, du marbre blanc!
MORS
Pourquoi craindre la mort? pourquoi s'effrayer d'elle?
La mort est chose naturelle:?Na?tre, vivre et mourir, c'est tout l'homme en trois mots.
Comme aux flots succèdent les flots,?Comme un clou chasse l'autre, un homme prend la place?De celui qui vivait hier, et qui n'est plus;
On s'en va sans laisser de trace.?C'est la loi. Les derniers venus
Reprennent le fardeau qui tombe de l'épaule?Des anciens fatigués par le rude chemin
Qui va de l'un à l'autre p?le.?Ils ont marché longtemps; le repos vient enfin.?On devrait le bénir, et comme une caresse?Accueillir le baiser de l'obscure déesse.
Ah! dit l'homme, autrefois, quand on avait l'espoir?D'un bonheur éternel, en s'endormant au soir?De la vie, on croyait que sous la froide pierre
S'ouvrait un gouffre de lumière;?La mort était alors un bien.?Mais quoi! songer, en mon destin morose,?Qu'après avoir vécu je ne serai plus rien...
--Crois-tu donc être quelque chose?
LE PAYS MERVEILLEUX
_à M. Albert Périlhou._
Lorsqu'on a cheminé bien longtemps dans la plaine.?Que les pieds sont lassés du chemin parcouru,?On voit surgir au loin, vision surhumaine,?Le mont géant. Il est brusquement apparu,?Enveloppé d'azur et baigné de lumière;?Plus haut que la nuée aux contours éclatants?Il élève sa cime;
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