Rimes familières | Page 4

Camille Saint-Saëns
tous, s'ils ne savent s'unir;
Et quand, repus de gloire et so?lés de carnages,?Ils seront endormis dans l'éternel sommeil,?De l'Orient divin, d'où sont venus les Mages,?De l'Orient vainqueur rena?tra le Soleil!
NE SOYONS PAS TROP DéBONNAIRES
Ne soyons pas trop débonnaires;?Aimer quand même est lacheté.?Pour les méchants restons sévères,?Gardons aux bons notre bonté.
Pardonnez! dit-on.--C'est facile,?Et doux même aux coeurs bien placés.?L'apre vengeance est inutile;?Le mépris venge bien assez.
Mais prodiguer à tous les tra?tres?Le trésor de son amitié!?Jeter son or par les fenêtres?à des assassins sans pitié!
Devant eux ?ter sa cuirasse!?Presser sur un sein désarmé?Ceux dont on peut suivre la trace?à tout le mal qu'ils ont semé!
Ce n'est pas seulement faiblesse,?C'est une mauvaise action.?De quoi paira-t-on la tendresse,?La fidèle dévotion
De l'ami vrai, si l'hypocrite?Dont le sourire est plein de fiel?Comme celui qui la mérite?Re?oit l'amitié, don du ciel!
Pour le Titan point de clémence!?Il est précipité des cieux.?Le dragon périt sous la lance?De l'Archange victorieux.
Ayons plus de miséricorde;?Mais pas d'attendrissement vain!?Aux méchants le sage n'accorde?Qu'un entier et parfait dédain.
LES HEURES
Toutes nous blessent, la dernière?Nous tue, ayant enfin pitié?Quand elle achève sans colère?L'oeuvre faite plus d'à moitié.
Les autres, même la plus douce,?Hélas! nous usent lentement,?Et chacune d'elle nous pousse?Vers le funèbre monument.
Funèbre? non. Quelle caresse?Vaut le sommeil sans lendemain??Vienne l'heure, pale ma?tresse?Qu'on espère jamais en vain!
Elle viendra, consolatrice,?Tarir la source des remords:?Nulle passion tentatrice?Ne trouble le repos des morts.

Ces heures, pleines d'espérance,?De terreur ou de volupté,?Ne sont pourtant qu'une apparence,?Un rêve sans réalité.
Le temps, l'espace: vain mirage,?Mots creux auxquels rien ne répond;?Bruit de la vague sur la plage,?Du caillou dans le puits profond!
Avec le mètre et l'heure, infime,?L'homme prétend jauger les mers?Dont l'infini creuse l'ab?me,?Qui pour flots ont des univers!
Sonnez, sonnez, Heures futiles,?Mensonge par l'homme inventé!?Résonnez! vos sons inutiles?Se perdent dans l'éternité.
_S?VA MATER AMORUM_
_à Madame_***
Tu m'as persécuté toujours dans ta colère;
Tu n'as pas pardonné,?O Vénus! qu'au grand art, à l'étude sévère
Mon coeur se f?t donné;
Et tu m'as mis au flanc la chimère éternelle
De l'Idéal rêvé:?L'amour pur comme l'eau des lacs, profond comme elle,
Que je n'ai pas trouvé.
Qui sait? pour vivre heureux dans les bras de la femme
Et protégé par toi,?Fille des flots amers! peut-être au fond de l'ame
Faut-il avoir la foi,
Ne pas chercher un coeur pareil au sien, qui batte
Toujours à l'unisson,?Se contenter de la poupée, et quand on gratte
Rire en voyant le son:
Croire quand même, alors que l'effronté mensonge
Vient nous crever les yeux,?Prendre pour vérité ce qui n'est qu'un vain songe
Et l'enfer pour les cieux;
Oublier tout, ne voir que la femme en ce monde,
Se coucher sur le seuil?Et sous un pied vainqueur jusqu'en la boue immonde
Abattre son orgueil.
L'homme, ? Vénus! peut-il dans ton culte perfide
Trouver le vrai bonheur,?S'il doit sacrifier sur ton autel avide
Ce qui fait sa grandeur?
Qu'il soit maudit, l'autel dont la flamme dévore
Et la science et l'art,?Qui bannit la pensée et du coeur qui l'adore
Veut le sang pour sa part!
Déesse sans pitié, charmerais-tu le monde
Pour le déshériter??Mère de la beauté, tu dois être féconde
Ou ne pas exister.
ADAM ET èVE
_Eritis sicut Dii._
I
L'ivresse est envolée et l'espérance est morte:?Ils ont go?té le fruit de l'arbre défendu.?Jamais l'Ange pour eux ne rouvrira la porte
Du paradis perdu.
Depuis que du bonheur ils ont touché la cime,?Soumis au chatiment, résignés à souffrir,?Ils ne regrettent rien, ni l'exil, ni le crime,
Ni l'horreur de mourir.
La faim, la soif, n'ont rien dont le coeur se désole,?Ni le soleil de feu, ni le désert géant;?Qu'importe! ils ont l'Amour: de tout il les console
Et le reste est néant.
Car l'Amour, engendrant voluptés et tortures,?N'était pas dans l'Eden aux vertus condamné:?Il fallait pour qu'il f?t connu des créatures
Que le crime f?t né.
C'est sur le Désespoir que fleurit l'Espérance;?Pour que le Rut dev?nt l'Amour prodigieux?Il fallait aux humains le remords, la souffrance
Et les pleurs dans les yeux.
_Sicut Dii!_ Ce mot du tentateur suprême?était-ce donc vrai: le Mal nous a divinisés.?L'Homme innocent jamais n'e?t connu par lui-même
Tout le prix des baisers!
Ils changent notre bouche en exquise blessure?Par où coule à longs traits le sang des coeurs maudits,?Nous rendant chaque jour, mortelle nourriture,
Le fruit du paradis.
II
Tu savais bien, Iaveh! qu'en sa chair frémissante?L'Homme, prompt à bénir et prompt à blasphémer,?Cache une ame qui br?le, à vouloir impuissante
Et faite pour aimer!
Tu mets près de la lèvre un fruit qui la désire;?Tu dis: c'est le plaisir; n'y touchez pas! pourquoi??Sous notre pied glissant l'ab?me nous attire:
Qui l'a creusé? c'est toi!
Sentant de ton pouvoir s'ébranler l'édifice,?O Dieu cruel! en vain pour racheter le Mal?Tu donneras ton Fils, offert en sacrifice
Comme un vil animal!
Trop tard! le blé se sèche et l'ivraie est fertile!?Trop tard! le Mal a fait son oeuvre pour toujours!?Ton Fils sur un gibet souffre et meurt inutile:
Et l'Homme, plein de jours,
Dédaignant tes Edens, méprisant tes supplices,?Laissant aux chérubins ta céleste Sion,?Bravant la mort, l'enfer, se plonge avec délices
Dans la Damnation.
_Sicut Dii!_ non! non! le tentateur des ames?N'a pas dit vrai: car l'Homme est plus grand que les Dieux, Qui, n'ayant
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