Rimes familières | Page 3

Camille Saint-Saëns
m'écoutes?En prenant des airs narquois,?T'aventurer dans des jo?tes?Avec les grands d'autrefois!
Tu te verrais, pauvre athlète,?Aussi faible qu'un enfant?Qui prendrait une arbalète?Pour combattre un éléphant.
à AUGUSTA HOLMèS
L'Irlande t'a donnée à nous. Ta gloire est telle?Qu'un double rayon brille à ton front: Astarté,?Aussi belle que toi, ne savait qu'être belle;?Sapho qui t'égalait n'avait pas ta beauté.
Tu chantes, comme vibre une forêt superbe?Qu'agite la fureur des grands vents décha?nés;?Comme aux feux de midi la cigale dans l'herbe;?Comme sur un récif les flots désordonnés.
Ton talent réunit la force et la souplesse,?Et d'une défaillance il n'a pas à rougir;?Si tu peux gazouiller comme en son allégresse?L'oiseau des champs, tu sais comme un fauve rugir.
La République, l'Art et l'Amour ont ensemble?Mêlé leurs voix, guidés par ta puissante main,?Cette main qui jamais n'hésite ni ne tremble,?Que la lyre soit d'or ou qu'elle soit d'airain.
Tout un peuple a chanté l'Hymne de délivrance,?Vignerons, matelots, artisans, laboureurs,?Artistes et savants, parure de la France,?Les guerriers, les enfants qui leur jettent des fleurs.
à ta flamme allumée en brillante spirale?La flamme des trépieds sur tous les fronts a lui,?Et nous avons trouvé dans l'Ode Triomphale?Pour le grand Centenaire un chant digne de lui.
La Patrie adorée au tout-puissant génie?Te presse avec amour sur son coeur glorieux.?Sois par nous acclamée et par elle bénie,?Et puisse ton étoile illuminer les cieux!
à LA MêME
Il est beau de passer la stature commune;
Mais c'est un grand danger:?Le vulgaire déteste une gloire importune
Qu'il ne peut partager.
Tant qu'on a cru pouvoir vous tenir en lisière
Dans un niveau moyen,?On vous encourageait, souriant en arrière
Et vous disant: c'est bien!
Mais quand vous avez eu le triomphe insolite,
L'éclat inusité,?Cet encouragement banal et vain bien vite
De vous s'est écarté;
Et vous avez senti le frisson de la cime
Qui, seule dans le ciel,?N'a que l'azur immense autour d'elle, l'ab?me
Et l'hiver éternel.
On craint les forts; celui qui dompte la chimère
Est toujours détesté.?La haine est le plus grand hommage: soyez fière
De l'avoir mérité.
GN?TI SEAUTON
La mer tente ma lyre avec ses épouvantes,?Ses caresses de femme et ses go?mons verts.?O mer trois fois perfide! alors que tu me hantes?Sur mon indignité j'ai les yeux grands ouverts.
Je pourrais comme un autre en alignant des rimes?Dire ton glauque azur aux vastes horizons;?Je pourrais par des mots semés sur tes ab?mes?Faire comme les flots s'entrechoquer des sons.
Mais non, je suis trop peu pour cette rude tache;?Tu m'as découragé par ton immensité.?L'effort est surhumain et je me sens trop lache?Pour peindre dans mes vers ta terrible beauté.
Que d'autres plus hardis t'adressent la parole,?Comparent ton murmure à celui du sapin;?Je n'ose pas. Et puis ce serait chose folle?De te chanter encor après Jean Richepin.
à M. PIERRE B***
Pierre, je t'ai vu na?tre et de ta jeune gloire?J'aimerais à fêter les lauriers radieux.?D'où vient donc ton silence et quelle est l'humeur noire?Qui fait plier ton aile et te ferme les cieux?
Je la connais; je sais qu'une triste chimère?A toujours assombri ton ame. La Vertu?Que tu voulais chanter dans ton désir austère?A mis son doigt glacé sur ton luth: il s'est tu.
La Vertu! que le ciel me garde d'en médire!?Il n'est rien de si beau, de si grand à mes yeux.?Mais--(mieux que moi ton père est là pour t'en instruire)?On la célèbre mal dans la langue des dieux.
Quand Homère chantait la colère d'Achille,?Quand Horace effeuillait des roses sur le vin,?Sur la reine Didon lorsque pleurait Virgile?Inventant pour la plaindre un langage divin,
Nul d'entre eux ne songeait à réformer le monde;?Poètes, ils faisaient des vers, comme en été?L'abeille cherche dans la corolle profonde?Son miel dont la saveur est une volupté.
Rouvre ton aile, ami! sois digne de ta race!?De corriger les moeurs ne va pas te flatter.?Le feu de la Jeunesse est la lave qui passe,?Et des sermons rimés ne peuvent l'arrêter.
Chante l'astre, la fleur, les bois, la mer si belle,?Les splendeurs de la Femme et les malheurs des Rois,?Le tout-puissant Amour, la Vengeance cruelle,?Et non le pot-au-feu d'un ménage bourgeois!
Sois poète: tes doigts savent toucher la Lyre;?Ils ont eu les le?ons d'une savante main.?Oh! comme il me sera délicieux de lire?Le volume de vers que tu feras demain!
à GRENADE.
_à M. Georges Clairin._
L'Alhambra, qu'ont bati les enfants du prophète,?Contre la vétusté vaillamment se défend.?Il est toujours paré comme pour une fête;?On dirait qu'il espère: on dirait qu'il attend.
Qui sait--(toujours l'Islam agrandit son empire!)?Si les fils de Mahom, enchantement des yeux,?Quand le Christ ne sera plus là pour les maudire,?N'y replanteront pas l'étendard des ayeux?
Car le Christ dont la croix palit sur les murailles?N'est plus l'inspirateur des conquérants jaloux;?Les peuples d'Occident se livrent des batailles,?Mais ce n'est plus la Foi qui dirige leurs coups.
Ils ergotent sans fin sur des questions vaines;?Ils veulent agrandir la terre sous leurs pas;?Et, faisant bon marché des souffrances humaines,?Devant les pleurs, le sang, ils ne désarment pas.
Ils ne veulent pas voir, aveugles et stupides,?L'ange exterminateur qui vient pour les punir!?Le néant est au bout des luttes fratricides:?Ils dispara?tront
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