Relation de lIslande | Page 7

Isaac de la Peyrère
n'y a dans toute l'Islande aucune miniere de quelque metal ou
mineral que ce soit, si ce n'est de soufre, qui est tres commun dans
toute l'Isle; mais que l'on tire en plus grande abondance d'une
Montagne nommée Hecla, qui est le Montgibel de l'Islande; car elle
jete des flames qui causent de grâns embrazemâns aux environs. Cete
Montagne est du costé de la partie Oriàntale, declinant à la
Meridionale, & assez proche de la mer. Blefkenius dit, que ce Mont ne

jete pas seulement des flames, mais des torrâns d'eau, qui brulent
comme eau de vie. Il jete par fois aussi, des cendres noires, & une
quantité prodigieuse de pierres ponce. La tàmpeste qui agite ce Mont,
cesse au vànt d'Oüest, qui est le Zephire des anciens. Tant que ce vànt
soufle, ceux qui connoissent ce Mont, & qui en savent les chemins seurs,
montent hardiment à son plus haut sommet, & à l'endroit par où il rànd
ses flames; où ils jetent de grosses pierres, que le Mont rejete avec
furie, & comme une Mine fait voler les esclats d'un mur qu'elle emporte.
Il est tres dangereux d'en aprocher, à ceux qui n'en connoissent pas les
avenües. Parce que la terre qui brule au dessous, venant à fondre, a
bien souvent englouti des hommes vivans, dans des fournaises
ardàntes.
X. Les habitans de l'Isle croyent que cete Montagne est le lieu où les
ames des dannez sont tourmàntées. Dequoy ils font de plaisâns contes.
Car ils voyent quelque fois, à ce qu'ils disent, comme des fourmilieres
de Diables, qui entrent dans la gueule de ce Mont, chargez d'ames
dannées; & qui en ressortent, pour en aler chercher d'autres. Et
Blefkenius raporte, que lors que cela a paru, on a remarqué qu'il s'est
donné une sanglante bataille en quelque endroit. Les Islandois croyent
aussi, que le bruit que font les glaces, quand elles heurtent &
s'atachent à leurs rivages, sont les cris & les gemissemâns des dannez,
pour le grand froit qu'ils endurent. Car ils croyent qu'il y a des ames
condannées à geler eternelement, comme il y en a qui brulent
eternelement. Et le suplice seroit egal; en ce que, penetrabile frigus
adurit; & qu'il est vray qu'un grand froit brule comme du feu.
XI. Le mesme Blefkenius dit, qu'estant en Islande, sur la fin du mois de
Novàmbre, & à minuit; on vit un grand feu sur la mer du Mont Hecla,
& que ce feu esclaira toute l'Isle. Ce qui estonna tous les habitans. Les
plus experimàntez & les plus sànsez asseuroient, que cete lueur venoit
du Mont Hecla. Une heure apres l'Isle tràmbla. Et ce tràmblemànt fut
suivy d'un esclat comme de tonnerre, si espouvàntable & si terrible,
que tous ceux qui l'ouïrent, crurent que ce devoit estre la cheute du
monde. On sût peu de jours apres, que la mer avoit tary à l'endroit où
le feu avoit paru; & qu'elle s'estoit retirée à deux lieües de là.

XII. Les Islandois ne vàndent & n'achetent quoy que ce soit, car il n'y a
pas d'argent monnoyé parmy eux. On leur aporte des farines, de la
biere, du vin, de l'eau de vie, du fer, des drâs, & du linge. Ils baillent en
eschange ce qu'ils ont, qui est; des poissons secs, du beurre, des suifs,
des drâs grossiers, du soufre, & des peaux de renârs, d'ours, & de loûs
cerviers. Blefkenius dit, que les Alemans qui trafiquent en Islande,
dressent des tàntes pres des havres où ils ont abordé, & qu'ils y
estalent leurs Marchandises, qui sont; manteaux, souliers, miroirs,
couteaux, & quantité de bagateles, qu'ils eschangent avec ce que les
Islandois leur aportent. Des filles qui sont fort beles dans cete Isle,
mais fort mal vestües, vont voir ces Alemans; & ofrent à ceux qui n'ont
pas de fàme, de coucher avec eux, pour du pain, pour du biscuit, &
pour quelqu'autre chose de peu de valeur. Les Peres mesmes
presàntent leurs filles aux Estrangers. Et si leurs filles deviennent
grosses, ce leur est un grand honneur. Car elles sont plus considerées,
& plus recherchées par les Islandois, que les autres: Et il y a de la
presse à les avoir.
XIII. Quand les Islandois ont acheté, (c'est à dire eschangé) du vin, ou
de la biere, des Marchâns estrangers: Ils convient leurs paràns, leurs
amis, & leurs voisins, à boire l'un & l'autre: Et ne se quitent point que
tout ne soit beu. Ils chantent en beuvant, les faits heroïques de leurs
Capitaines. Leur musique est sans regle, & sans art, que l'on apele,
Musique enragée. C'est une incivilité parmy eux, que de sortir de table,
quand ils boivent, pour aler faire de l'eau. Des filles qui ne sont pas
laides en ce païs-là, comme j'ay dit, coulent sous les treteaux, &
presàntent des
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