Recits dun soldat - Une Armee Prisonniere; Une Campagne Devant Paris | Page 5

Amedee Achard
où pouvait camper dans ce moment le régiment que je cherchais. Il n'y avait plus qu'à trancher la question du fusil. Mon insistance parut étonner beaucoup l'honnête bureaucrate. Prenant alors un air doux:
--Je comprends votre empressement à servir votre pays, reprit-il, c'est pourquoi je vous engage à partir pour Lille.
--Pour Lille! pour Lille en Flandres?
--Oui, monsieur, Lille, département du Nord, où l'on forme un régiment qui sera composé d'éléments divers très-bien choisis. Vous y serez admis d'emblée, et là certainement vous trouverez enfin ce fusil qu'on n'a pu vous procurer ni à Rethel, ni à Mézières. D'ailleurs il y a des ordres.
L'entretien était fini; la voix de l'autorité venait de se faire entendre. Pour un volontaire qui avait rêvé de se trouver en face des Prussiens quelques heures après son départ de Paris, elle n'était ni douce, ni consolante. Au lieu de la bataille, le dép?t! L'oreille basse, je poussai devant moi tristement à travers les rues. Des militaires portant tous les uniformes les encombraient, allant et venant, sortant du cabaret pour entrer chez les marchands de vin. Il y avait comme du désenchantement dans l'air.
A la nuit tombante, un passant m'indiqua la rue que désignait mon billet de logement, et je ne tardai pas à frapper à la modeste porte de la maison où je devais passer la nuit. Une servante, sa chandelle à la main, me conduisit dans une espèce de galetas dont un vieux lit mal équilibré occupait tout le plancher. Ce n'était pas l'heure de faire des réflexions. La fatigue, du reste, avait la parole, et non plus la délicatesse. Cinq minutes après je dormais tout habillé.
Vers deux heures du matin cependant, une tempête de fanfares éclata. Je sautai sur mes pieds et courus vers le palier. Une servante qui regardait par une lucarne se retourna.--C'est le prince impérial qu'on éveille, me dit-elle. Les trompettes sonnaient partout le boute-selle pour un départ qui ne devait point avoir de retour. Des cavaliers passaient au galop dans la rue; les escadrons se rangeaient en ordre de marche; un cliquetis d'armes s'éleva mêlé au roulement lointain d'une voiture, puis tout s'éteignit: l'héritier d'un empire s'en allait vers l'ab?me!
Le train qui devait partir à six heures de la station de Charleville n'était pas encore formé au moment où j'arrivai. La gare était remplie de soldats fiévreux et fourbus où l'on comptait non moins de tra?nards que de malades, et que l'administration aux abois versait dans les dép?ts du Nord et les divers h?pitaux qui pouvaient disposer de quelques lits encore. Les wagons ne furent pleins qu'à neuf heures. On y entassait les débris de vingt régiments. A neuf heures et demie, la locomotive s'ébranla lourdement. On voyait ?à et là des grappes de pantalons garance sur les plates-formes et les marchepieds, ceux-ci debout, ceux-là couchés. De temps à autres, des convois chargés de soldats, de canons et de chevaux saluaient au passage le convoi qui s'éloignait de Mézières. C'était l'armée du général Vinoy, qui allait appuyer l'armée du maréchal Mac-Mahon, et qui devait presque aussit?t battre en retraite et s'enfermer dans Paris. Un de ces convois s'arrêta à la station de Harrison vers deux heures en même temps que celui sur lequel j'étais monté. On causa de wagon à wagon entre cavaliers et fantassins; c'est ainsi que j'appris qu'un détachement du 3e zouaves venait de prendre place dans un train montant, et ne devait pas tarder à passer. Je résolus d'attendre l'arrivée de mes camarades inconnus.
Au bout de quatre heures, le détachement du 3e zouaves parut enfin. D'un bond je m'élan?ai auprès du lieutenant qui le commandait.
--Monsieur? lui dis-je.
--On m'appelle mon lieutenant, répliqua l'officier d'un ton sec; puis me regardant le sourcil déjà froncé:
--Que voulez-vous? et surtout soyez bref.
Je lui exposai ma demande en termes nets et précis.
--Montez! dit le lieutenant.
Je pris subitement place dans un wagon où quinze zouaves allongeaient leurs guêtres. Des regards curieux se dirigèrent vers le nouveau-venu, qui mêlait tout à coup sa jeune barbiche au rassemblement farouche de ces moustaches rouges et noires. L'instant était critique: il y avait là un écueil à franchir. Une magnifique pipe que je tirai et que j'offris tour à tour à chacun me gagna le coeur de mes compagnons de route. En signe d'adoption, ils me tutoyèrent spontanément. Vers dix heures du soir, le train s'arrêta à Charleville: le détachement des zouaves quitta les wagons, et vint camper sur une promenade au-dessus de la station. L'influence de la pipe, dont le tuyau d'ambre sortait de ma poche, me permit l'entrée d'une tente où l'hospitalité la plus cordiale m'accueillit sur un pan de gazon. Mon tartan, que je n'avais pas quitté depuis mon départ de Paris, me servit de matelas et de couverture, et je m'endormis entre mes camarades. Lorsque par hasard j'entrouvrais les yeux, et qu'à la lueur pale
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