Recits dun soldat - Une Armee Prisonniere; Une Campagne Devant Paris | Page 6

Amedee Achard
de quelques tisons br?lant ?à et là j'apercevais ce pêle-mêle de jambes enfouies dans d'immenses culottes, et de têtes cachées à demi sous le fez rouge, des rires silencieux me prenaient. Je fus réveillé par la rosée qui transper?ait mes vêtements et me gla?ait. Les zouaves, qui, dans des attitudes diverses, ronflaient sous la tente, secouèrent leurs oreilles comme des chiens qui viennent de recevoir une ondée, et, sifflant des airs bizarres mêlés de couplets saugrenus, se mirent en devoir de plier les tentes et de faire les sacs pour être prêts à partir au premier signal. Je m'employai avec eux tant bien que mal. Allant et venant, je fis la découverte d'un superbe capuchon de drap tout neuf qui gisait sur l'herbe et semblait orphelin. Je soulevai le capuchon, l'examinai, et ne put lui refuser les louanges qu'il méritait au double point de vue de la solidité et de la conservation.
--A qui le capuchon? m'écriai-je en le tenant suspendu au bout de mon bras.
--A toi, parbleu! s'écria un vieux zouave chevronné jusqu'à l'épaule.
Je le regardai un peu surpris.
--Tu ne comprends donc pas? reprit-il; c'est pourtant bien clair. Tu as droit à un capuchon et tu n'en as pas, ce qui est la faute du gouvernement; cependant en voici un qui se balance entre tes doigts. Quelqu'un le réclame-t-il? non; ma conclusion est qu'il t'appartient.
Et toujours parlant il m'en coiffa. Un coup de clairon retentit.
--C'est l'assemblée qui sonne, ajouta-t-il, en route à présent, le lieutenant n'aime pas qu'on le fasse attendre.
A sept heures et demie, un train prit le détachement, et la locomotive courut sur la voie qui aboutissait à Sedan. Ici le verbe courir doit se prendre dans le sens le plus modeste. Le convoi marchait, parfois même il se tra?nait. D'une main, le mécanicien, debout sur sa machine, serrait le frein; du regard, il sondait l'horizon. On ne savait pas au juste où étaient les Prussiens, et à toute minute on craignait de trouver la voie coupée. Tout à c?té des rails, en contre-bas, filait une route sur laquelle passaient en toute hate des familles de paysans chassées par la peur et le désespoir. Des femmes qui pleuraient portaient des petits enfants. Ces malheureux pressaient la fuite de quelques bestiaux. On entendait le grincement des charrettes toutes chargées de ce qu'ils avaient pu sauver. Des détonations roulaient dans la campagne. On voyait ?à et là, au-dessus des haies, des panaches de fumée blanche; toutes les têtes étaient aux portières. Le convoi allait au devant de la bataille. Un mélange d'angoisse et d'impatience m'agitait. En ce moment, un zouave parut sur le marchepied, et avertit ses camarades, de la part du lieutenant, qu'ils devaient se tenir prêts à tirer. En un clin d'oeil, tous les chassepots furent chargés et armés. Le wagon s'en trouva hérissé, et la locomotive prit une allure plus rapide. On n'apercevait au loin que quelques groupes noirs ondulant dans la plaine. Des yeux per?ants croyaient y reconna?tre le casque à pointe des Prussiens. Tout à coup un obus parti d'un point invisible s'enfon?a dans le remblai du chemin de fer; un autre, qui le suivait, écorna l'angle d'un wagon. Le convoi en fut quitte pour la secousse. Les zouaves répondirent à cette agression par quelques coups de fusil tirés dans la direction des masses noires qu'on voyait au loin. Une heure après, le convoi était en vue de Sedan, et s'arrêtait bient?t à la gare, qui est située à un kilomètre à peu près du corps de place. Déjà les bataillons prussiens couronnaient certaines hauteurs voisines. Les promenades qui m'avaient fatigué à Mézières et à Rethel m'attendaient à Sedan. J'avais à peine fait quelques pas dans la ville, qu'un fourrier de zouaves m'engagea, ainsi que plusieurs de mes camarades, à retourner à la gare, où des caisses de fusils étaient arrivées, disait-il. Je m'y rendis en courant. A la gare, point de caisses et point de fusils, mais des amas de pains et des monceaux de sacs remplis de biscuits. Je regardai le fourrier.
--Vous n'y comprenez rien, n'est-ce pas? me dit-il en riant: ne me fallait-il pas des hommes de bonne volonté pour enlever ces provisions? M'auriez-vous suivi, si je ne vous avais pas promis des armes?
Il n'y avait rien à répliquer à ce raisonnement. Ployant bient?t sous le poids du sac et portant un pain sous chaque bras, je repris le chemin de Sedan, où mon détachement avait ordre d'attendre sur la place Stanislas. Un ordre vint en effet qui le fit retourner à la porte de Paris, par laquelle il était entré. Une rumeur effroyable remplissait la ville. Des aides de camp circulaient, des estafettes passaient portant des dépêches, des groupes se formaient au coin des rues; un homme vint criant qu'on avait remporté une grande victoire. Quelques incrédules hochèrent la tête. Une
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