paires de chaussettes de laine et quelques mouchoirs. Ma fortune était cachée dans une ceinture, où, en cherchant bien, on e?t trouvé un assez bon nombre de pièces d'or.
Il y avait dans le compartiment dans lequel j'étais monté, une femme enveloppée d'un manteau qui pleurait sous son voile et un ingénieur qui prenait des notes. Ma voisine m'apprit entre deux sanglots qu'elle avait un fils et un frère à l'armée. Elle n'en avait point de nouvelles depuis quinze jours. L'ingénieur voyageait pour la destruction des oeuvres d'art, telles que viaducs, ponts et tunnels. Il en avait une centaine à faire sauter. C'était une mission de confiance. Son crayon voltigeait sur le calepin et il honorait quelquefois son voisin d'un sourire modestement orgueilleux.
La guerre et ses conséquences, la guerre et ses probabilités faisaient tous les frais de la conversation. On n'avait rien à apprendre et on parlait toujours. Chaque voyageur qui montait apportait son contingent de nouvelles. La plupart reposaient sur des renseignements fournis par le hasard. Ils ne mentaient pas moins que les dépêches. Le blame avait plus de part à l'entretien que l'éloge. L'un attaquait l'état-major, un autre l'intendance. On improvisait des plans de campagne magnifiques qui n'avaient d'autre défaut que d'être impraticables. Leurs auteurs retournaient à leurs affaires ?à et là; celui-là dans son chateau, celui-ci dans sa boutique.
A la station de Reims, où l'on n'attendait pas encore le roi Guillaume, tous mes compagnons de route descendirent. Un officier d'artillerie, qui semblait avoir fait cent lieues à travers champs, monta, étendit ses jambes crottées sur les coussins, soupira, se retourna, et se mit à ronfler comme une batterie. Vers deux heures du matin, le convoi s'arrêta à Rethel. Il ne s'agissait plus maintenant que de découvrir le 3e zouaves. Il pleuvait beaucoup, et la ville était encore dans l'épouvante d'une visite qu'elle avait re?ue la veille. Quatre uhlans avaient pris Rethel; mais, trop peu nombreux pour garder cette sous-préfecture, ils étaient repartis comme ils étaient arrivés, lentement, au pas. Tout en discutant les chances du retour des quatre uhlans avec l'aubergiste qui m'avait accordé l'hospitalité d'une chambre et d'un lit, j'appris que le 3e zouaves était parti depuis trois jours. Personne ne savait où il était allé. Je voulais à la fois des renseignements et un fusil. La matinée s'écoula en recherches vaines. Point d'armes à me fournir, aucune information non plus. S?r enfin que le chemin de fer ne marchait plus, et bien décidé à rejoindre mon régiment, j'obtins d'un loueur une voiture avec laquelle il s'engageait à me faire conduire à Mézières.
II
Nous n'avions pas fait un demi-kilomètre sur la route de Mézières, que déjà nous rencontrions des groupes de paysans marchant d'un air effaré. Quelques-uns tournaient la tête en pressant le pas. Leur nombre augmentait à mesure que la voiture avan?ait. Bient?t la route se trouva presque encombrée par les malheureux qui poussaient devant eux leur bétail, et fuyaient en escortant de longues files de charrettes sur lesquelles ils avaient entassé des ustensiles, quelques provisions et leurs meubles les plus précieux. Les femmes et les enfants, assis sur la paille et le foin, pleuraient et se lamentaient. Je pensai alors aux chants qui avaient salué la nouvelle de la déclaration de guerre, à l'enthousiasme nerveux de Paris, à cette fièvre des premiers jours. J'étais non plus à l'Opéra, mais au milieu de campagnes désolées que leurs habitants abandonnaient. La ruine et l'incendie les balayaient comme un troupeau. L'un de ces fugitifs que je questionnai au passage, me répondit que les Prussiens arrivaient en grand nombre: ils avaient coupé la route entre Mézières et Rethel, et me conseilla de rebrousser chemin. Cela dit, il reprit sa course.
De sourdes et lointaines détonations prêtaient une éloquence plus sérieuse au discours du paysan: c'était la voix grave du canon qui tonnait dans la direction de Vouziers. Je ne l'avais jamais entendue qu'à Paris pendant les réjouissances des fêtes officielles. Elle empruntait au silence des campagnes et au spectacle de cette route où fuyait une foule en désordre, un accent formidable qui faisait passer un frisson dans mes veines. Plus tard je devais me familiariser avec ce bruit. Une ferme br?lait aux environs, et l'on n'avait besoin que de se dresser un peu pour apercevoir derrière les haies les coureurs fran?ais et prussiens qui échangeaient des coups de fusil.
A six heures du soir, la voiture atteignit les portes de Mézières. Mon premier soin fut de me rendre à la place où je voulais, comme à Rethel, obtenir tout à la fois un fusil et des renseignements sur le 3e zouaves; mais le désordre et le trouble que j'avais déjà remarqués à Rethel n'étaient pas moindres à Mézières. Un employé près duquel je parvins à me glisser après de longs efforts, me jura, sur ses dossiers, que personne dans l'administration ne savait
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