coulaient sans obstacle au bas de la montagne.
La vue du triste lieu qu'on nous avait donné pour les bosquets de Maglans, avait trompé notre attente. Nous ne f?mes pas dédommagés par l'aspect du Nant-d'Arpenaz. Ce début n'était pas encourageant; il ne répondait pas à l'idée que nous nous étions faite des phénomènes qui nous attiraient dans des lieux si féconds en incidents pittoresques. Il n'était pas de nature à éveiller notre enthousiasme, qui n'attendait qu'une occasion pour éclater. Mais nous avions la foi qui transporte les montagnes. Nous pensions que, comme dans un drame bien ordonné, l'intérêt devait aller en croissant.
Nous arrivames à trois heures et demie à Saint-Martin, petit village où il faut se munir de mulets et de chars-à-banc, le chemin cessant d'être praticable pour les voitures. Saint-Martin se trouve sur la route directe de Genève à Chamouni. Nous d?mes renoncer à visiter les beaux sites des environs de Salenches et les bains de Saint-Gervais. Nous voulions profiter du reste du jour pour arriver à Chamouni. Nous ne nous arrêtames donc qu'un instant à l'auberge du Mont-Blanc, tenu par Chenet. Ce ne fut pas sans de vives démonstrations de regret que le bonhomme Chenet nous vit décidés à continuer notre route. Il fit tous ses efforts pour nous retenir. Il prédit que la nuit et même un orage nous surprendraient dans la montagne. Notre mauvais génie nous rendit sourds à ses sages avis, et sa voix se perdit dans le désert. Nous lui f?mes l'injure de croire qu'il était de l'espèce de ces h?teliers rapaces, ingénieux à retenir les passants dans leur repaire, pour les ran?onner à leur aise. Résigné, il amena la mule qui devait porter l'auguste voyageuse. Elle se nommait Marquise. Ce beau nom sans doute
à cet insigne honneur lui valut d'être admise. Pour une souveraine il faut une marquise. Celle-ci fière d'un tel choix, à peine regardant ses ignobles pareilles, Dresse, belle d'orgueil, ses superbes oreilles. Il lui tarde d'aller sous un si noble poids, Et de prêter sa croupe à la fille des rois[6].
Après s'être pourvue de guides pour nous conduire à Chamouni, notre caravane quitta Saint-Martin au petit pas, partie montée sur des mulets, partie hissée sur un char-à-banc. Nous e?mes au fond du couloir d'une vallée, la perspective du Bonhomme, l'un des satellites du Mont-Blanc. Nous laissames sur notre droite Salenches, puis Saint-Gervais dont le clocher s'élève sur les bords de l'Arve. La route passe au pied du coteau de Passy, où Rome a laissé des traces de son antique grandeur; mais quel est le lieu de la terre que la cité reine n'ait pas marqué de sa superbe empreinte?
Après une demi-heure de marche commence la montagne. Là, nous laissames nos mulets et notre char-à-banc pour monter à la cascade de Chede, en gravissant pendant l'espace de quelques minutes un sentier étroit et escarpé, qui dominait un ravin profond. Ce sentier nous amena devant une vaste nappe d'eau tombant d'une hauteur de deux cents pieds au travers de rochers ombragés par des arbres plusieurs fois centenaires: c'était la cascade de Chede.
Du pied de noirs sapins dans les airs élancés, L'impétueux torrent descend à flots pressés, Roulant en vagues blanchissantes, De roc en roc à grand bruit jaillissantes. Au loin les airs en sont troublés; Et sous sa masse foudroyante, De la montagne gémissante, Les vastes flancs sont ébranlés. C'est en vain qu'au sein de la plage, Le torrent furieux veut s'ouvrir un passage; Le sol résiste à ses coups redoublés. Enfin, las d'exercer une impuissante rage, Sur les débris dans sa chute entra?nés, Il s'enfuit en grondant; puis ses flots décha?nés, Dans un cours plus tranquille oubliant leur furie, Se répandent dans la prairie, Divisés en mille ruisseaux, Qui vont du lac de Chede alimenter les eaux.
Ce beau spectacle attira pendant quelque temps notre attention. Avant de continuer notre route, nos guides nous conduisirent au lac pour boire de son eau, selon l'usage. Nous admirames le brillant cristal de cette eau, qui est en effet si limpide, qu'elle invite à la go?ter. Ce lac est, dit-on, peuplé de couleuvres qui ont détruit la race innocente des poissons, et règnent insolemment à leur place.
Ainsi sur tout ce qui respire, Tel est l'injuste arrêt du sort, La violence exerce son empire; Et le méchant est le plus fort.
C'est à notre station du lac de Chede que nous e?mes la première révélation de l'immensité du Mont-Blanc. Là, on commence à le voir distinctement. En promenant les yeux sur cette masse colossale, et en les élevant jusqu'au sommet, on ne peut se lasser d'admirer ce géant de la terre, contre lequel l'action du temps et la main de l'homme sont impuissantes. Au lieu de subir la loi commune des choses d'ici-bas, le Mont-Blanc, semblable au soleil, para?t rajeunir et se renouveler sans cesse. Assis sur sa
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