le capital belge, à qui le courage, voire l'audace n'a
jamais fait défaut: les Égyptiens sont payés pour le savoir. Il a fait
acclamer la Belgique et les Belges. Encore un peu, on le portait en
triomphe.
Un peu plus tard, une vingtaine de Belges se trouvaient réunis, au Caire,
sans concert préalable, dans la salle basse d'un café où l'on débite une
pétillante bière blonde. C'est M. l'ingénieur Pécher, le jeune et distingué
directeur des Oasis, qui nous avait menés là. Georges Garnir, qui en
était, a écrit que ce fut le meilleur moment de la journée. Personne ne le
démentira. Les neuf provinces étaient représentées. Avons-nous ri!
Véritable après-midi d'étudiants. Les passants s'arrêtaient pour nous
regarder rire. Sommé de haranguer l'assistance en flamand, Julius
Hoste, le feutre en bataille sur sa tête de guerrier boer, s'est exécuté
avec entrain, en brandissant sa chope comme pour assommer, d'un coup
de goedendag, quelque «damné fransquillon». M. Finoulst, un aimable
et doux Ardennais qui est secrétaire d'une importante société belge, lui
a donné la réplique en patois de Dinant. Des Ombiaux, puis Kaiser,
puis Garnir y sont allés aussi de leur petit discours. Chacun disait à sa
façon, même ceux qui ne disaient rien et qui s'abandonnaient en
cachette à l'émotion, que la Belgique est le plus beau, le plus aimable
pays du monde, et que ses enfants ont mille raisons de l'aimer.
Moquez-vous si vous voulez. C'était très bon.
Je suis retourné à Héliopolis la veille de Noël, tout seul, non pour
revoir pousser la ville nouvelle, mais pour flâner sur les ruines de
l'ancienne. Les Arabes ont achevé de la détruire, et Memphis avec elle,
quand ils ont bâti, avec les pierres de ces deux célèbres capitales,
mortes depuis plusieurs siècles, mais encore debout au temps de leur
invasion, les premiers palais et les premières mosquées du Caire. Les
villas de Matarieh s'élèvent parmi les palmiers, les mimosas et les roses
sur ses temples et ses monuments ensevelis. Les Jésuites français, qui
possèdent au Caire un collège florissant, ont leur maison de campagne
à Matarieh. M. Jean Capart m'avait donné un mot pour le bon Père
Jullien. En me guidant sur le clocher de la chapelle, j'ai trouvé tout de
suite le chemin. Le Père Jullien m'attendait. Il m'a fait les honneurs de
son jardin, de sa chapelle et de ses ruines. L'aimable homme, et
l'admirable jardin! La vieillesse ennemie n'a su courber sa haute taille.
Il a quatre-vingts ans, bon pied, bon oeil, et une ouïe de vingt ans. Il
m'a mené voir l'obélisque--le seul qui soit resté debout de tous ceux de
la Basse et de la Moyenne Égypte; il date de 2760 avant notre ère--les
soubassements d'un temple, les restes du mur d'enceinte, le parc
d'autruches. Une heure et demie à baudet, et par une chaleur!... J'ai lu,
dans une intéressante brochure qu'il a publiée sur «l'Arbre de la
Vierge», que les obélisques romains des places Vaticane, Saint-Jean de
Latran, du Peuple et Monte-Citorio ont été enlevés d'Héliopolis sous les
empereurs.
La chapelle est charmante. On y voit une touchante inscription latine
exprimant, avec une brève éloquence, la tristesse des religieux exilés
qui attendent avec une foi inébranlable, dans le travail et le combat,
l'heure où ils pourront rentrer dans leur patrie.
Quant au jardin, une pure merveille. Le Père Jullien en est très fier. Si
vous voulez gagner son coeur, admirez tout haut ses bambous, ses
palmiers, ses roses et les pommes d'or de ses mandariniers. «C'est un
homme distingué», me disait de lui, au Caire, une personnalité
appréciée pour son intelligence et son jugement. Je l'ai bien vu tout de
suite. Cet homme très distingué est, par surcroît, un jardinier de premier
ordre. C'est lui qui a dessiné et planté l'adorable jardin où j'ai passé, le
24 décembre 1907, une heure délicieuse, au milieu de beaux arbres
inconnus, frémissants et tout verts, en songeant à la désolation et au
froid de nos hivers. Cette merveille a poussé en vingt ans. Il y a vingt
ans, le sable du désert tourbillonnait ici. L'eau du Nil et le Père Jullien
ont fait pousser dans le désert ce paradis terrestre. L'eau du Nil, dans
toute l'Égypte, don magnifique du vieux fleuve, opère tous les jours de
ces miracles. Le Père Jullien l'amena près de ses plantations. Au bout
de quelques années, le jardin fut plein de promesses. Les bambous,
hauts de vingt mètres, croissent d'un noeud--plus de dix
centimètres!--par jour. «Il y a six mois, me disait le Père Jullien,
j'embrassais facilement, de mes deux bras arrondis, ce jeune acacia.
Essayez donc aujourd'hui.» Le tronc a grossi d'au moins vingt
centimètres.
Matarieh a rang de lieu saint secondaire. L'Arbre de la Vierge y est
vénéré depuis les premiers temps de l'Église égyptienne. Un vieux
tronc rabougri, rejeton de l'arbre
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