Quinze Jours en Egypte | Page 4

Fernand Neuray
Nil coule au milieu. Jamais de pluie. Chaque
été, le flot débordant étend sur le sol l'eau du fleuve et le limon qu'elle
apporte. Où s'arrête l'inondation commence, de chaque côté, l'aride
désolation du désert. Le labeur du fellah fait fructifier admirablement
ce présent annuel du vieux fleuve. Dès que l'eau commence à se retirer,
les champs, du matin au soir, sont peuplés de travailleurs, qui pataugent,
jambes nues, même au plus chaud des jours déjà brûlants, dans la boue
limoneuse. Dans la Haute Égypte, quand nous verrons de près leurs
villages, leur saleté, leur vermine et les beaux enfants dévorés par les
mouches sur le seuil des masures, nous songerons aux paysans de
l'Ardenne ou de la Lorraine, tels que les ont faits douze siècles de
christianisme, race fière, heureuse et libre sous un ciel souvent hostile
et sur un sol ingrat ...
C'est le jeudi 12 décembre qu'on nous mena voir la nouvelle Héliopolis.
De l'Ezbekieh, nous avons mis, en autobus, une vingtaine de minutes.
Le chemin de fer électrique dévorera la route en un quart d'heure.

LA NOUVELLE HÉLIOPOLIS

La nouvelle ville s'élèvera à l'est de la capitale de l'Égypte. Les deux
mille cinq cents hectares que les premières constructions doivent
couvrir ont été découpés dans le désert arabique, dont les vagues
sablonneuses fuient, à perte de vue, vers Suez et la mer Rouge. Trois
mille travailleurs, hommes et femmes, remuent depuis quinze mois les
pierres et le mortier. Cent cinquante villas sont en construction;
plusieurs sont presque achevées. Le Palace Hôtel, édifice grandiose et
charmant, long de cent quatre-vingt-cinq mètres, sera terminé dans un
an. Il coûtera, tout meublé, cinq millions. Ce sont les plans d'un jeune
architecte belge, M. Ernest Jaspar, qui ont triomphé au concours. Ses
terrasses étagées domineront un admirable spectacle: le désert, infini et
rosé, où l'on voit courir, en même temps que les nuages au ciel, de
grandes taches d'ombre; les maisons blanches et les palmiers de
Matarieh; puis, à l'Ouest, Le Caire, inondé de lumière, hérissé de
coupoles et de minarets; le ruban argenté du Nil; enfin, flamboyant
dans l'azur, l'énorme triangle de la grande Pyramide.
Trois avenues, larges de quarante mètres, traverseront la ville.
Quarante-deux kilomètres de conduites d'eau sont achevés. Des milliers
d'arbrisseaux, serrés les uns contre les autres, et protégés par des
capuchons contre le vent du désert, grandissent dans le limon humide
d'une vaste pépinière. Ils sont destinés à border les avenues et à peupler
les jardins. M. le baron Empain et S.E. Boghos Pacha Nubar se font
construire à Héliopolis chacun une villa somptueuse[1].
Cinq mille hectares sont réservés, plus avant dans le désert, pour
l'extension de la cité nouvelle, qui doit comprendre, d'après le plan des
fondateurs, trois agglomérations distinctes et successives, reliées entre
elles par des avenues verdoyantes et des voies de communication
rapide. La Société d'Héliopolis a reçu option, par contrat, sur cinq mille
hectares, en sus des deux mille cinq cents de la première oasis, au prix
de cinquante-cinq francs l'hectare environ. Trois voies ferrées seront
établies entre la première oasis et le Caire: un chemin de fer et deux
tramways électriques. L'un de ceux-ci, posé et équipé, est prêt pour
l'exploitation. Il fera arrêt, en cours de route, à plusieurs stations. Ce
sera la voie de banlieue, qui prendra et conduira des voyageurs à tous
les villages échelonnés le long du chemin[2]. L'autre tramway est

particulièrement destiné aux fonctionnaires que la Société s'est engagée
à loger moyennant un prix convenu avec le gouvernement égyptien.
Quant au chemin de fer électrique, il courra, sans arrêt, du Caire à
Héliopolis. Ce sera le train express. Le trajet durera quinze minutes:
tout juste ce qu'il faut, à Bruxelles, pour aller du Nord au Midi.
Telle est, en raccourci, l'entreprise qui a séduit des hommes d'affaires
de premier ordre: Belges, Anglais, Français et Égyptiens. Comme
toutes les grandes choses, elle a des détracteurs. Mais personne ne peut
contester son originalité ni son caractère grandiose. C'est une
magnifique partie à jouer. On comprend qu'elle passionne tant et de si
puissants capitaines de la finance. Si elle réussit, ils auront attaché leur
nom à une des plus belles choses qui se pourront voir, d'ici à une
dizaine d'années, dans un des plus beaux pays du monde.
La rareté des habitations et la cherté des loyers la provoquaient depuis
longtemps. On a vu le prix des terrains à bâtir monter, au Caire, en cinq
ans, de 1901 à 1906, à des sommets vertigineux, de quinze à quinze
cents francs le mètre carré en de certains endroits. Il a dégringolé
depuis lors. L'excès même de la spéculation a amené une crise
immobilière, encore aggravée, dans la suite, par le contre-coup de la
crise monétaire qui achève en ce moment son tour du monde. Mais les
loyers des maisons et
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