Quatrevingt-Treize | Page 7

Victor Hugo
pour consigne habituelle de faire surtout le guet entre Saint-H��lier et Granville.
Si le vent s'y pr��tait, si rien ne survenait, et en couvrant la corvette de toile, Gacquoil esp��rait toucher la c?te de France au point du jour.
Tout allait bien, la corvette venait de d��passer Gros-Nez; vers neuf heures, le temps fit mine de bouder, comme disent les marins, et il y eut du vent et de la mer; mais ce vent ��tait bon, et cette mer ��tait forte sans ��tre violente. Pourtant, �� de certains coups de lame, l'avant de la Corvette embarquait.
Le ?paysan? que lord Balcarras avait appel�� _g��n��ral_, et auquel le prince de La Tour-d'Auvergne avait dit: mon cousin, avait le pied marin et se promenait avec une gravit�� tranquille sur le pont de la corvette. Il n'avait pas l'air de s'apercevoir qu'elle ��tait fort secou��e. De temps en temps il tirait de la poche de sa veste une tablette de chocolat dont il cassait et machait un morceau, ses cheveux blancs n'emp��chant pas qu'il e?t toutes ses dents.
Il ne parlait �� personne, si ce n'est, par instants, bas et bri��vement, au capitaine, qui l'��coutait avec d��f��rence et semblait consid��rer ce passager comme plus commandant que lui-m��me.
La Claymore, habilement pilot��e, c?toya, inaper?ue dans le brouillard, le long escarpement nord de Jersey, serrant de pr��s la c?te, �� cause du redoutable ��cueil Pierres-de-Leeq qui est au milieu du bras de mer entre Jersey et Serk. Gacquoil, debout �� la barre, signalant tour �� tour la Gr��ve de Leeq, Gros-Nez, Pl��mont, faisait glisser la corvette parmi ces cha?nes de r��cifs, en quelque sorte �� tatons, mais avec certitude, comme un homme qui est de la maison et qui conna?t les ��tres de l'oc��an. La corvette n'avait pas de feu �� l'avant, de crainte de d��noncer son passage dans ces mers surveill��es. On se f��licitait du brouillard. On atteignit la Grande-Etape; la brume ��tait si ��paisse qu'�� peine distinguait-on la haute silhouette du Pinacle. On entendit dix heures sonner au clocher de Saint-Ouen, signe que le vent se maintenait vent-arri��re. Tout continuait d'aller bien; la mer devenait plus houleuse �� cause du voisinage de la Corbi��re.
Un peu apr��s dix heures, le comte du Boisberthelot et le chevalier de La Vieuville reconduisirent l'homme aux habits de paysan jusqu'�� sa cabine, qui ��tait la propre chambre du capitaine. An moment d'y entrer, il leur dit en baissant la voix:
--Vous le savez, messieurs, le secret importe. Silence jusqu'au moment de l'explosion. Vous seuls connaissez ici mon nom.
--Nous l'emporterons an tombeau, r��pondit Boisberthelot.
--Quant �� moi, repartit le vieillard, fuss��-je devant la mort, je ne le dirais pas.
Et il entra dans sa chambre.

III. NOBLESSE ET ROTURE M��L��ES
Le commandant et le second remont��rent sur le pont et se mirent �� marcher c?te �� c?te en causant. Ils parlaient ��videmment de leur passager, et voici �� peu pr��s le dialogue que le vent dispersait dans les t��n��bres.
Boisberthelot grommela �� demi-voix �� l'oreille de La Vieuville:
--Nous allons voir si c'est un chef.
La Vieuville r��pondit:
--En attendant, c'est un prince.
--Presque.
--Gentilhomme en France, mais prince en Bretagne.
--Comme les La Tr��moille, comme les Rohan.
--Dont il est l'alli��.
Boisberthelot reprit:
--En France et dans les carrosses du roi, il est marquis comme je suis comte et comme vous ��tes chevalier.
--Ils sont loin les carrosses! s'��cria La Vieuville. Nous en sommes au tombereau.
Il y eut un silence.
Boisberthelot repartit:
--A d��faut d'un prince fran?ais, on prend un prince breton.
--Faute de grives... Non, faute d'un aigle, on prend un corbeau.
--J'aimerais mieux un vautour, dit Boisberthelot. Et la Vieuville r��pliqua:
--Certes! un bec et des griffes.
--Nous allons voir.
--Oui, reprit La Vieuville, il est temps qu'il y ait un chef. Je suis de l'avis de Tint��niac: _un chef, et de la poudre_! Tenez, commandant, je connais �� peu pr��s tous les chefs possibles et impossibles; ceux d'hier, ceux d'aujourd'hui et ceux de demain; pas un n'est la caboche de guerre qu'il nous faut. Dans cette diable de Vend��e, il faut un g��n��ral qui soit en m��me temps un procureur; il faut ennuyer l'ennemi, lui disputer le moulin, le buisson, le foss��, le caillou, lui faire de mauvaises querelles, tirer parti de tout, veiller �� tout, massacrer beaucoup, faire des exemples, n'avoir ni sommeil ni piti��. �� cette heure, dans cette arm��e de paysans, il y a des h��ros, il n'y a pas de capitaines. D'Elb��e est nul, Leseure est malade, Bonchamps fait grace; il est bon, c'est b��te. La Rochejaquelein est un magnifique sous-lieutenant; Silz est un officier de rase campagne, impropre �� la guerre d'exp��dients; Cathelineau est un Charretier na?f, Stofflet est un garde-chasse rus��, B��rard est inepte, Boulainvilliers est ridicule, Charette est horrible. Et je ne parle pas du barbier Gaston. Car, Mordemonbleu! �� quoi bon chamailler la r��volution et quelle diff��rence y a-t-il entre les r��publicains et nous si nous faisons commander les gentilshommes par les perruquiers?
--C'est que cette
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