Quatrevingt-Treize | Page 6

Victor Hugo
navire avait �� faire quelque chose d'extraordinaire. Un homme en effet venait de s'y embarquer, qui avait tout l'air d'entrer dans une aventure. C'��tait un haut vieillard, droit et robuste, �� figure s��v��re, dont il e?t ��t�� difficile de pr��ciser l'age, parce qu'il semblait �� la fois vieux et jeune; un de ces hommes qui sont pleins d'ann��es et pleins de force, qui ont des cheveux blancs sur le front et un ��clair dans le regard; quarante ans pour la rigueur et quatre-vingts ans pour l'autorit��. Au moment o�� il ��tait mont�� sur la corvette, son manteau de mer s'��tait entr'ouvert, et l'on avait pu le voir v��tu, sous ce manteau, de larges braies dites _bragou-bras_, de bottes-jambi��res, et d'une veste en peau de ch��vre montrant en dessus le cuir passement�� de soie, et en dessous le poil h��riss�� et sauvage, costume complet du paysan breton. Ces anciennes vestes bretonnes ��taient �� deux fins, servaient aux jours de f��te comme aux jours de travail, et se retournaient, offrant �� volont�� le c?t�� velu ou le c?t�� brod��; peaux de b��te toute la semaine, habits de gala le dimanche. Le v��tement de paysan que portait ce vieillard ��tait, comme pour ajouter �� une vraisemblance cherch��e et voulue, us�� aux genoux et aux coudes, et paraissait avoir ��t�� longtemps port��, et le manteau de mer, de grosse ��toffe, ressemblait �� un haillon de p��cheur. Ce vieillard avait sur la t��te le chapeau rond du temps, �� haute forme et �� large bord, qui, rabattu, a l'aspect campagnard, et, relev�� d'un c?t�� par une ganse �� cocarde, a l'aspect militaire. Il portait ce chapeau rabaiss�� �� la paysanne, sans ganse ni cocarde.
Lord Balcarras, gouverneur de l'?le, et le prince de la Tour-d'Auvergne, l'avaient en personne conduit et install�� �� bord. L'agent secret des princes, G��lambre, ancien garde du corps de M. le comte d'Artois, avait lui-m��me veill�� �� l'am��nagement de sa cabine, poussant le soin et le respect, quoique fort bon gentilhomme, jusqu'�� porter derri��re ce vieillard sa valise. En le quittant pour retourner �� terre, M. de G��lambre avait fait �� ce paysan un profond salut; lord Balcarras lui avait dit: _Bonne chance, g��n��ral_, et le prince de la Tour-d'Auvergne lui avait dit: _Au revoir, mon cousin_.
?Le paysan?, c'��tait en effet le nom sous lequel les gens de l'��quipage s'��taient mis tout de suite �� d��signer leur passager, dans les courts dialogues que les hommes de mer ont entre eux; mais, sans en savoir plus long, ils comprenaient que ce paysan n'��tait pas plus un paysan que la corvette de guerre n'��tait une corvette de charge.
Il y avait peu de vent. La Claymore quitta Bonnenuit, passa devant Boulay-Bay, et fut quelque temps en vue, courant des bord��es; puis elle d��crut dans la nuit croissante, et s'effa?a.
Une heure apr��s, G��lambre, rentr�� chez lui �� Saint-H��lier, exp��dia, par l'expr��s de Southampton, �� M. le comte d'Artois, au quartier g��n��ral du duc d'York, les quatre lignes qui suivent:
?Monseigneur, le d��part vient d'avoir lieu. Succ��s certain. Dans huit jours toute la c?te sera en feu, de Granville �� Saint-Malo.?
Quatre jours auparavant, par ��missaire secret, le repr��sentant Prieur de la Marne, en mission pr��s de l'arm��e des c?tes de Cherbourg, et momentan��ment en r��sidence �� Granville, avait re?u, ��crit de la m��me ��criture que la D��p��che pr��c��dente, le message qu'on va lire:
?Citoyen repr��sentant, le 1er juin, �� l'heure de la mar��e, la corvette de guerre Claymore, �� batterie masqu��e, appareillera pour d��poser sur la c?te de France un homme dont voici le signalement: haute taille, vieux, cheveux blancs, habits de paysan, mains d'aristocrate. Je vous enverrai demain plus de d��tails. Il d��barquera le 2 au matin. Avertissez la croisi��re, capturez la corvette, faites guillotiner l'homme.?

II. NUIT SUR LE NAVIRE ET SUR LE PASSAGER
La corvette, au lieu de prendre par le sud et de se diriger vers Sainte-Catherine, avait mis le cap au nord, puis avait tourn�� �� l'ouest et s'��tait r��solument engag��e entre Serk et Jersey dans le bras de mer qu'on appelle le Passage de la D��route. Il n'y avait alors de phare sur aucun point de ces deux c?tes.
Le soleil s'��tait bien couch��; la nuit ��tait noire, plus que ne le sont d'ordinaire les nuits d'��t��; c'��tait une nuit de lune, mais de vastes nuages, plut?t de l'��quinoxe que du solstice, plafonnaient le ciel, et, selon toute apparence, la lune ne serait visible que lorsqu'elle toucherait l'horizon, au moment de son coucher. Quelques nu��es pendaient jusque sur la mer et la couvraient de brume.
Toute cette obscurit�� ��tait favorable.
L'intention du pilote Gacquoil ��tait de laisser Jersey �� gauche et Guernesey �� droite, et de gagner, par une marche hardie entre les Hanois et les Douvres, une baie quelconque du littoral de Saint-Malo, route moins courte que par les Minquiers, mais plus s?re, la croisi��re fran?aise ayant
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