Quatrevingt-Treize | Page 3

Victor Hugo
au village. Nous nous sommes sauv��s si vite que je n'ai pas eu le temps de mettre des souliers.
--Je te demande quelles sont tes opinions politiques?
--Je ne sais pas ?a.
Le sergent poursuivit:
--C'est qu'il y a des espionnes. ?a se fusille, les espionnes. Voyons. Parle. Tu n'es pas boh��mienne? Quelle est ta patrie?
Elle continua de le regarder comme ne comprenant pas. Le sergent r��p��ta:
--Quelle est ta patrie?
--Je ne sais pas, dit-elle.
--Comment! tu ne sais pas quel est ton pays?
--Ah! mon pays. Si fait.
--Eh bien, quel est ton pays?
La femme r��pondit:
--C'est la m��tairie de Siscoignard, dans la paroisse d'Az��. Ce fut le tour do sergent d'��tre stup��fait. Il demeura un moment pensif. Puis il reprit:
--Tu dis?
--Siscoignard.
--Ce n'est pas une patrie, ?a.
--C'est mon pays.
Et la femme, apr��s un instant de r��flexion, ajouta:
--Je comprends, monsieur. Vous ��tes de France, moi je suis de Bretagne.
--Eh bien!
--Ce n'est pas le m��me pays.
--Mais c'est la m��me patrie! cria le sergent.
La femme se borna �� r��pondre:
--Je suis de Siscoignard!
--Va pour Siscoignard! reprit le sergent. C'est de l�� qu'est ta famille?
--Oui.
--Que fait-elle?
--Elle est toute morte. Je n'ai plus personne.
Le sergent, qui ��tait un peu beau parleur, continua l'interrogatoire.
--On a des parents, que diable! ou on en a eu. Qui es-tu? Parle.
La femme ��couta, ahurie, cet--_ou on en a eu_--qui ressemblait plus �� un cri de b��te fauve qu'�� une parole humaine.
La vivandi��re sentit le besoin d'intervenir. Elle se remit �� caresser l'enfant qui t��tait, et donna une tape sur la joue aux deux autres.
--Comment s'appelle la t��teuse? demanda-t-elle; car c'est une fille, ?a.
La m��re r��pondit: Georgette.
--Et l'a?n��? Car c'est un homme, ce polisson-l��.
--Ren��-Jean.
--Et le cadet? car lui aussi, il est un homme, et joufflu encore!
--Gros-Alain, dit la m��re.
--Ils sont gentils, ces petits, dit la vivandi��re; ?a vous a d��j�� des airs d'��tre des personnes.
Cependant le sergent insistait.
--Parle donc, madame. As-tu une maison?
--J'en avais une.
--O�� ?a?
--A Az��.
--Pourquoi n'es-tu pas dans ta maison?
--Parce qu'on l'a br?l��e.
--Qui ?a?
--Je ne sais pas. Une bataille.
--D'o�� viens-tu?
--De l��.
--O�� vas-tu?
--Je ne sais pas.
--Arrive au fait. Qui es-tu?
--Je ne sais pas.
--Tu ne sais pas qui tu es?
--Nous sommes des gens qui nous sauvons.
--De quel parti es-tu?
--Je ne sais pas.
--Es-tu des bleus? Es-tu des blancs? Avec qui es-tu?
--Je suis avec mes enfants.
Il y eut une pause. La vivandi��re dit:
--Moi, je n'ai pas eu d'enfants. Je n'ai pas eu le temps. Le sergent recommen?a.
--Mais tes parents! Voyons, madame, mets-nous au fait de tes parents. Moi, je m'appelle Radoub, je suis sergent, je suis de la rue du Cherche-Midi, mon p��re et ma m��re en ��taient, je peux parler de mes parents. Parle-nous des tiens. Dis-nous ce que c'��tait que les parents.
--C'��taient les Fl��chard. Voil�� tout.
--Oui, les Fl��chard sont les Fl��chard, connue les Radoub sont les Radoub. Mais on a un ��tat. Quel ��tait l'��tat de tes parents? Qu'est-ce qu'ils faisaient? Qu'est-ce qu'ils font? Qu'est-ce qu'ils fl��chardaient, tes Fl��chard?
--C'��taient des laboureurs. Mon p��re ��tait infirme et ne pouvait travailler �� cause qu'il avait re?u des coups de baton que le seigneur, son seigneur, notre seigneur, lui avait fait donner, ce qui ��tait une bont��, parce que mon p��re avait pris un lapin, pour le fait de quoi on ��tait jug�� �� mort; mais le seigneur avait fait grace et avait dit: Donnez-lui seulement cent coups de baton; et mon p��re ��tait demeur�� estropi��.
--Et puis?
--Mon grand-p��re ��tait huguenot. Monsieur le cur�� l'a fait envoyer aux gal��res. J'��tais toute petite.
--Et puis?
--Le p��re de mon mari ��tait un faux-saulnier. Le roi l'a fait pendre.
--Et ton mari, qu'est-ce qu'il fait?
--Ces jours-ci, il se battait.
--Pour qui?
--Pour le roi.
--Et puis?
--Dame, pour son seigneur.
--Et puis?
--Dame, pour monsieur le cur��.
--Sacr�� mille noms de noms de brutes! cria un grenadier.
La femme eut un soubresaut d'��pouvante.
--Vous voyez, madame, nous sommes des Parisiens, dit gracieusement la vivandi��re.
La femme joignit les mains et cri:
--O mon Dieu seigneur J��sus!
--Pas de superstitions, reprit le sergent.
La vivandi��re s'assit �� c?t�� de la femme et attira entre ses genoux l'a?n�� des enfants, qui se laissa faire. Les enfants sont rassur��s comme ils sont effarouch��s, sans qu'on sache pourquoi. Ils ont on ne sait quels avertissements int��rieurs.
--Ma pauvre bonne femme de ce pays-ci, vous avez de jolis mioches, c'est toujours ?a. On devine leur age. Le grand a quatre ans, son fr��re a trois ans. Par exemple, la momignarde qui tette est fameusement gouliafre. Ah! la Monstre! Veux-tu bien ne pas manger ta m��re comme ?a! Voyez-vous, madame, ne craignez rien. Vous devriez entrer dans le bataillon. Vous feriez comme moi. Je m'appelle Honzarde. C'est un sobriquet. Mais j'aime mieux m'appeler Honzarde que mamzelle Bicorneau, comme ma m��re. Je suis la cantini��re, comme qui dirait celle qui donne �� boire quand on se mitraille et qu'on s'assassine. Le diable et son train. Nous avons �� peu pr��s le m��me pied, je vous donnerai des souliers �� moi. J'��tais �� Paris le l0 ao?t. J'ai donn�� �� boire
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