Quatrevingt-Treize | Page 2

Victor Hugo
d'eau indiquant le voisinage des marais.
On marchait. On allait �� l'aventure, avec inqui��tude, et en craignant de trouver ce qu'on cherchait.
De temps en temps on rencontrait des traces de campements, des places br?l��es, des herbes foul��es, des batons en croix, des branches sanglantes. L�� on avait, fait la soupe, l�� on avait dit la messe, l�� ou avait pans�� des bless��s. Mais ceux qui avaient pass�� avaient disparu. O�� ��taient-ils? Bien loin peut-��tre? peut-��tre l�� tout pr��s, cach��s, l'espingole au poing? Le bois semblait d��sert. Le bataillon redoublait de prudence. Solitude, donc d��fiante. On ne voyait personne; raison de plus pour redouter quelqu'un. On avait affaire �� une for��t mal fam��e.
Une embuscade ��tait probable.
Trente grenadiers, d��tach��s en ��claireurs, et command��s par un sergent, marchaient en avant �� une assez grande distance du gros de la troupe. La vivandi��re du bataillon les accompagnait. Les vivandi��res se joignent volontiers aux avant-gardes. On court des dangers, mais on va voir quelque chose. La curiosit�� est une des formes de la bravoure f��minine.
Tout �� coup les soldats de cette petite troupe d'avant-garde eurent ce tressaillement connu des chasseurs qui indique qu'on touche au g?te. On avait entendu comme un souffle au centre d'un fourr��, et il semblait qu'on venait de voir un mouvement dans les feuilles. Les soldats se firent signe.
Dans l'esp��ce de guet et de qu��te confi��e aux ��claireurs, les officiers n'ont pas besoin de s'en m��ler; ce qui doit ��tre fait se fait de soi-m��me.
En moins d'une minute le point o�� l'on avait remu�� fut cern��, un cercle de fusils braqu��s l'entoura; le centre obscur du hallier fut couch�� en joue de tous les c?t��s �� la fois, et les soldats, le doigt sur la d��tente, l'oeil sur le lieu suspect, n'attendirent plus pour le mitrailler que le commandement du sergent.
Cependant la vivandi��re s'��tait hasard��e �� regarder �� travers les broussailles, et, au moment o�� le sergent allait crier: Feu! cette femme cria: Halte!
Et se tournant vers les soldats:--Ne tirez pas, camarades!
Et elle se pr��cipita dans le taillis. On l'y suivit.
Il y avait quelqu'un l�� en effet.
Au plus ��pais du fourr��, au bord d'une de ces petites clairi��res rondes que font dans les bois les fourneaux �� charbon en br?lant les racines des arbres, dans une sorte de trou de branches, esp��ce de chambre de feuillage, entr'ouverte comme une alc?ve, une femme ��tait assise sur la mousse, ayant au sein un enfant qui t��tait et sur ses genoux les deux t��tes blondes de deux enfants endormis.
C'��tait l�� l'embuscade.
--Qu'est-ce que vous faites ici, vous? cria la vivandi��re.
La femme leva la t��te.
La vivandi��re ajouta, furieuse:
--Etes-vous folle d'��tre l��!
Et elle reprit:
--Un peu plus, vous ��tiez extermin��e!
Et, s'adressant aux soldats, la vivandi��re ajouta:
--C'est une femme.
--Pardine, nous le voyons bien! dit un grenadier.
La vivandi��re poursuivit:
--Venir dans les bois se faire massacrer! a-t-on id��e de faire des b��tises comme ?a!
La femme stup��faite, effar��e, p��trifi��e, regardait autour d'elle, comme �� travers un r��ve, ces fusils, ces sabres, ces bayonnettes, ces faces farouches.
Les deux enfants se r��veill��rent et cri��rent.
--J'ai faim, dit l'un.
--J'ai peur, dit l'autre.
Le petit continuait de t��ter.
La vivandi��re lui adressa la parole.
--C'est toi qui as raison, lui dit-elle.
La m��re ��tait muette d'effroi.
Le sergent lui cria:
--N'ayez pas peur, nous sommes le bataillon du Bonnet-Rouge.
La femme trembla de la t��te aux pieds. Elle regarda le sergent, rude visage dont on ne voyait que les sourcils, les moustaches, et deux braises qui ��taient les deux yeux.
--Le bataillon de la ci-devant Croix-Rouge, ajouta la vivandi��re.
Et le sergent continua:
--Qui es-tu, madame?
La femme le consid��rait, terrifi��e. Elle ��tait maigre, jeune, pale, en haillons; elle avait le gros capuchon des paysannes bretonnes et la couverture de laine rattach��e au cou avec une ficelle. Elle laissait voir son sein nu avec une indiff��rence de femelle. Ses pieds, sans bas ni souliers, saignaient.
--C'est une pauvre, dit le sergent.
Et la vivandi��re reprit de sa voix soldatesque et f��minine, douce en dessous:
--Comment vous appelez-vous?
La femme murmura dans un b��gaiement presque indistinct:
--Michelle Fl��chard.
Cependant la vivandi��re caressait avec sa grosse main la petite t��te du nourrisson.
--Quel age a ce m?me? demanda-t-elle.
La m��re ne comprit pas. La vivandi��re insista.
--Je vous demande l'age de ?a.
--Ah! dit la m��re. Dix-huit mois.
--C'est vieux, dit la vivandi��re. ?a ne doit plus t��ter. Il faudra me sevrer ?a. Nous lui donnerons de la soupe.
La m��re commen?ait �� se rassurer. Les deux petits qui s'��taient r��veill��s ��taient plus curieux qu'effray��s. Ils admiraient les plumets.
--Ah! dit la m��re, ils ont bien faim.
Et elle ajouta:
--Je n'ai plus de lait.
--On leur donnera �� manger, cria le sergent, et �� toi aussi. Mais ce n'est pas tout ?a. Quelles sont tes opinions politiques?
La femme regarda le sergent et ne r��pondit pas.
--Entends-tu ma question?
Elle balbutia:
--J'ai ��t�� mise au couvent toute jeune, mais je me suis mari��e, je ne suis pas religieuse. Les soeurs m'ont appris �� parler fran?ais. On a mis le feu
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