Quatrevingt-Treize | Page 4

Victor Hugo
�� Westermann. ?a a march��. J'ai vu guillotiner Louis XVI. Louis Capet, qu'on appelle. Il ne voulait pas. Dame, ��coutez donc. Dire que le 15 janvier il faisait cuire des marrons et qu'il riait avec sa famille! Quand on l'a couch�� de force sur la bascule, qu'on appelle, il n'avait plus ni habit ni souliers; il n'avait que sa chemise, une veste piqu��e, une culotte De drap gris et des bas de soie gris. J'ai vu ?a, moi. Le fiacre o�� on l'a amen�� ��tait peint en vert. Voyez-vous, venez avec nous. On est des bons gar?ons dans le bataillon, vous serez la cantini��re num��ro deux, je vous montrerai l'��tat. Oh! c'est bien simple! on a son bidon et sa clochette, on s'en va dans le vacarme, dans les feux de peloton, dans les coups de canon, dans le hourvari, en criant: Qui est-ce qui veut boire un coup, les enfants? Ce n'est pas plus malais�� que ?a. Moi, je verse �� boire �� tout le monde. Ma foi oui. Aux blancs comme aux bleus, quoique je sois une bleue. Et m��me une bonne bleue. Mais je donne �� boire �� tous. Les bless��s, ?a a soif. On meurt sans distinction d'opinion. Les gens qui meurent, ca devrait se serrer la main. Comme c'est godiche de se battre! Venez avec nous. Si je suis tu��e, vous aurez ma survivance. Voyez-vous, j'ai l'air comme ?a, mais je suis une bonne femme et un brave homme. Ne craignez rien.
Quand la vivandi��re eut cess�� de parler, la femme murmura:
--Notre voisine s'appelait Marie-Jeanne et notre servante s'appelait Marie-Claude.
Cependant le sergent Radoub admonestait le grenadier.
--Tais-toi. Tu as fait peur �� madame. On ne jure pas devant les dames.
--C'est que c'est tout de m��me un v��ritable massacrement pour l'entendement d'un honn��te homme, r��pliqua le grenadier, que de voir des iroquois de la Chine qui ont eu leur beau-p��re estropi�� par le seigneur, leur grand-p��re gal��rien par le cur��, et leur p��re pendu par le roi, et qui se battent, nom d'un petit bonhomme! et qui se fichent en r��volte, et qui se font ��crabouiller pour le seigneur, le cur�� et le roi!
Le sergent cria:
--Silence dans les rangs!
--On se tait, sergent, reprit le grenadier; mais ?a n'emp��che pas que c'est ennuyeux qu'une jolie femme comme ?a s'expose �� se faire casser la gueule pour les beaux yeux d'un calotin.
--Grenadier, dit le sergent, nous ne sommes pas ici au club de la section des Piques. Pas d'��loquence.
Et il se tourna vers la femme.
--Et ton mari, madame? que fait-il? Qu'est-ce qu'il est devenu?
--Il est devenu rien, puisqu'on l'a tu��.
--O�� ?a?
--Dans la baie.
--Quand ?a?
--Il y a trois jours.
--Qui ?a?
--Je ne sais pas.
--Comment! tu ne sais pas qui a tu�� ton mari?
--Non.
--Est-ce un bleu? Est-ce un blanc?
--C'est un coup de fusil.
--Et il y a trois jours?
--Oui.
--De quel c?t��?
--Du c?t�� d'Ern��e. Mon mari est tomb��. Voil��.
--Et depuis que ton mari est mort, qu'est-ce que tu fais?
--J'emporte mes petits.
--O�� les emportes-tu?
--Devant moi.
--O�� couches-tu?
--Par terre.
--Qu'est-ce que tu manges?
--Rien.
Le sergent eut cette moue militaire qui fait toucher le nez par les moustaches.
--Rien?
--C'est-��-dire des prunelles, des m?res dans les ronces, quand il y en a de reste de l'an pass��, des graines de myrtille, des pousses de foug��re.
--Oui. Autant dire rien.
L'a?n�� des enfants, qui semblait comprendre, dit: J'ai faim.
Le sergent tira de sa poche un morceau de pain de munition et le tendit �� la m��re. La m��re rompit le pain en deux morceaux et les donna aux enfants. Les petits mordirent avidement.
--Elle n'en a pas gard�� pour elle, grommela le sergent.
--C'est qu'elle n'a pas faim, dit un soldat.
--C'est qu'elle est la m��re, dit le sergent.
Les enfants s'interrompirent.
--A boire, dit l'un.
--A boire, r��p��ta l'autre.
--Il n'y a pas de ruisseau dans ce bois du diable, dit le sergent.
La vivandi��re prit le gobelet de cuivre qui pendait �� sa ceinture �� c?t�� de sa clochette, tourna le robinet du bidon qu'elle avait en bandouli��re, versa quelques gouttes dans le gobelet et approcha le gobelet des l��vres des enfants.
Le premier but et fit la grimace.
Le second but et cracha.
--C'est pourtant bon, dit la vivandi��re.
--C'est du coupe-figure? demanda le sergent.
--Oui, et du meilleur. Mais ce sont des paysans.
Et elle essuya son gobelet.
Le sergent reprit:
--Et comme ?a, madame, tu te sauves?
--Il faut bien.
--A travers champs, va comme je te pousse!
--Je cours de toutes mes forces, et puis je marche, et puis je tombe.
--Pauvre paroissienne! dit la vivandi��re.
--Les gens se battent, balbutia la femme. Je suis tout entour��e de coups de fusil. Je ne sais pas ce qu'on se veut. On m'a tu�� mon mari. Je n'ai compris que ?a.
Le sergent fit sonner �� terre la crosse de son fusil, et cria:
--Quelle b��te de guerre! nom d'une bourrique!
La femme continua:
--La nuit pass��e, nous avons couch�� dans une ��mousse.
--Tous les quatre?
--Tous les quatre.
--Couch��?
--Couch��.
--Alors, dit le sergent, couch�� debout.
Et il se tourna vers les
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