*
La même demoiselle fit un jour une chute pendant la répétition d'un
ballet. Le chorégraphe P... se montrait assez inquiet.
--Je crains, disait-il au médecin, que mademoiselle ne se soit luxé la
rotule.
--Monsieur P..., s'écria mademoiselle E..., dont le visage devint aussi
rouge que les mains de madame Pl... la mère, si vous me dites encore
des choses indécentes, je me plaindrai au directeur.
* * * * *
Hyacinthe posait pour sa charge chez Nadar, et il avait déjà donné deux
séances sans que la besogne fût achevée. En excuse à la longueur du
temps, l'artiste alléguait plaisamment la longueur du nez de son modèle.
--Ça ne vous ennuie donc pas de poser? demandait un visiteur au
joyeux comique.
--Ce n'est pas que cela m'ennuie, répondit-il; mais si j'avais 800,000 fr.
de rente, je ne les dépenserais pas uniquement à ce plaisir-là.
* * * * *
Deux vaudevillistes qui sont parrains d'ouvrages charmants cent fois
applaudis, E. L... et M. M..., se promenaient sur le boulevard, le soir
d'une première représentation qui leur inspirait des inquiétudes que le
public ne devait pas réaliser. Tout à coup, M. M... quitte le bras de son
collaborateur et se dispose à entrer dans une boutique.
--Où vas-tu? demande L...
--J'entre là pour acheter un parapluie, dit M. M...; attends-moi.
--Pendant que tu y seras, ajoute L..., achète aussi un parachute.
* * * * *
*** est un de ces hommes de lettres qui tiennent dans la littérature le
même rang que l'ablette dans l'ichthyologie. Comme romancier, il a eu
six colonnes de feuilleton et dix bouts d'articles imprimés dans les
journaux, les jours où l'on manquait de faits divers. Comme auteur
dramatique, il a fait représenter des fractions d'à peu près de
vaudevilles dans des simulacres de théâtres. Aussi, quand le marchand
de billets refuse de lui avancer mille écus sur le quart d'une pièce en un
acte qui, depuis huit ans, doit passer lundi prochain, il se fâche tout
rouge et le menace de lui retirer sa griffe. Lorsqu'il se trouve dans un
théâtre, et qu'il y a des dames auprès de lui, si l'ouvreuse vient lui
proposer un journal, il répond tout haut: «Je n'en ai pas besoin; c'est
moi qui le fais.» Dans les foyers, les jours de première représentation, il
marche à côté des critiques célèbres qui ne le connaissent pas, et remue
les lèvres pour faire croire au public qu'il est en conversation réglée
avec eux. Si, dans la rue, il rencontre une actrice, il la tutoie d'un salut
familier que l'actrice lui rend, si elle n'est pas pressée.
Néanmoins, à force d'agiter partout sa nullité sonore, *** est connu de
beaucoup de monde, et, dans sa famille, il a fait croire que c'était lui qui
écrivait des pièces de théâtre sous le pseudonyme de Scribe. À défaut
d'autre, il a du moins l'esprit de se trouver là où on a besoin de lui...
pour quelque service qui ne demande pas une autre activité que celle
des jambes.
--Mais ce petit *** fait son chemin, disait-on à un personnage
important dans les jambes duquel *** est toujours fourré.
--Oui, répondit le protecteur, je vois cela à mes souliers.
* * * * *
Entre autres cadeaux du dernier jours de l'an, mademoiselle M..., qui a
ruiné tant de jeunes gens de famille, a reçu un magnifique bracelet en
or massif formant une chaîne et se fermant par un cadenas également
en or, sur lequel était gravée cette inscription:
«À mademoiselle M..., les gardes du commerce reconnaissants.»
* * * * *
Dans une conversation d'après boire, à ce moment du souper où la
médisance devient le meilleur pousse-café,--quatre messieurs, jouissant
d'une grande réputation d'entraîneurs--sur les deux turfs du
Champ-de-Mars et de la galanterie,--causaient tour à tour écuries et
boudoirs.--En vidant sur la table les indiscrétions de leur double
stud-book, ils laissaient tomber le nom d'une beauté qui avait obtenu le
triomphe de la lithographie.
--Parbleu! demanda tout à coup l'un des convives au comte de B...,
comment se fait-il que vous, dont le caprice jette toutes les semaines
une douzaine de mouchoirs aux sultanes d'outre-rampe, vous ne
puissiez pas nous dire si la descente de lit de mademoiselle M... est une
peau de lion ou une peau de tigre?
--Vous savez bien, dit l'un des convives, que le comte est un original
qui ne veut jamais faire comme tout le monde.
* * * * *
M. Michel Carré et son ami Jules Barbier ont entrepris avec succès le
rajeunissement de ce vieil Eson dramatique qu'on appelle un poëme
d'opéra-comique. Grâce à eux, les musiciens en réputation commencent
à croire que la poésie bien faite n'empoisonne pas la musique, comme
les marchands de paroles au boisseau en font courir le bruit; et tous les
compositeurs jeunes
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