maman, sainte
parmi les saintes,
Portait des gants flétris et des jupes reteintes.
Aux
humbles, comme moi nés dans la pauvreté,
Je souhaite d'abord avec
sincérité,
Quand la nouvelle année entreprend sa carrière,
Le pain
quotidien de la vieille prière;
Et puis, pour qu'ils ne soient jamais trop
malheureux,
Je leur souhaite encor de bien s'aimer entre eux.
Du
pain et de l'amour! Tout est là. Le pauvre homme
N'a vraiment pas le
droit de trop se plaindre, en somme,
Si, du berceau d'osier au cercueil
de sapin,
Toute sa vie, il a de l'amour et du pain.
Mes honnêtes
parents n'eurent pas davantage;
Mais la bonté régnait dans leur coeur
sans partage.
Des sentiments profonds ils ont connu le prix,
Et, si je
sais aimer, c'est qu'ils me l'ont appris.
Et tel riche, donnant de
splendides étrennes,
N'éprouve pas leur joie en ces heures sereines,
Quand ils payaient, ayant épargné quelques sous,
Mon mauvais
compliment par de pauvres joujoux.
Mes amis, en ce jour qui groupe
la famille,
Si cher que soit le pain, si peu que le feu brille,
Épanouissez-vous, ne devenez pas durs.
Quand les enfants viendront
vous tendre leurs fronts purs,
À défaut de cadeaux, comblez-les de
caresses.
Entretenez en eux le foyer des tendresses,
Comme, en
soufflant dessus, on rallume un charbon.
Le méchant souffre, et
presque aucun homme n'est bon
Que grâce aux souvenirs de son
enfance aimée,
Dont son âme demeure à jamais parfumée.
Morceau à quatre mains
Le salon s'ouvre sur le parc
Où les grands arbres, d'un vert sombre,
Unissent leurs rameaux en arc
Sur les gazons qu'ils baignent d'ombre.
Si je me retourne soudain
Dans le fauteuil où j'ai pris place,
Je
revois encor le jardin
Qui se reflète dans la glace;
Et je goûte
l'amusement
D'avoir, à gauche comme à droite,
Deux parcs, pareils
absolument,
Dans la porte et la glace étroite.
Par un jeu charmant
du hasard,
Les deux jeunes soeurs, très exquises,
Pour jouer un peu
de Mozart,
Au piano se sont assises.
Comme les deux parcs du
décor,
Elles sont tout à fait pareilles;
Les quatre mêmes bijoux d'or
Scintillent à leurs quatre oreilles.
J'examine autant que je veux,
Grâce aux yeux baissés sur les touches,
La même fleur sur leurs
cheveux,
La même fleur sur leurs deux bouches;
Et parfois, pour
mieux regarder,
Beaucoup plus que pour mieux entendre,
Je me
lève et viens m'accouder
Au piano de palissandre.
Adagio
La rue était déserte et donnait sur les champs.
Quand j'allais voir l'été
les beaux soleils couchants
Avec le rêve aimé qui partout
m'accompagne,
Je la suivais toujours pour gagner la campagne,
Et
j'avais remarqué que, dans une maison
Qui fait l'angle et qui tient,
ainsi qu'une prison,
Fermée au vent du soir son étroite persienne,
Toujours à la même heure, une musicienne
Mystérieuse, et qui sans
doute habitait là,
Jouait l'adagio de la sonate en _la.
_Le ciel se
nuançait de vert tendre et de rose.
La rue était déserte; et le flâneur
morose
Et triste, comme sont souvent les amoureux,
Qui passait,
l'oeil fixé sur les gazons poudreux,
Toujours à la même heure, avait
pris l'habitude
D'entendre ce vieil air dans cette solitude.
Le piano
chantait sourd, doux, attendrissant,
Rempli du souvenir douloureux
de l'absent
Et reprochant tout bas les anciennes extases.
Et moi, je
devinais des fleurs dans de grands vases,
Des parfums, un profond et
funèbre miroir,
Un portrait d'homme à l'oeil fier, magnétique et noir,
Des plis majestueux dans les tentures sombres,
Une lampe d'argent,
discrète, sous les ombres,
Le vieux clavier s'offrant dans sa froide
pâleur,
Et, dans cette atmosphère émue, une douleur
Épanouie au
charme ineffable et physique
Du silence, de la fraîcheur, de la
musique.
Le piano chantait toujours plus bas, plus bas.
Puis, un
certain soir d'août, je ne l'entendis pas.
Depuis, je mène ailleurs mes
promenades lentes.
Moi qui hais et qui fuis les foules turbulentes,
Je regrette parfois ce vieux coin négligé.
Mais la vieille ruelle a,
dit-on, bien changé:
Les enfants d'alentour y vont jouer aux billes,
Et d'autres pianos l'emplissent de quadrilles.
L'amazone
Devant le frais cottage au gracieux perron,
Sous la porte que timbre
un tortil de baron,
Debout entre les deux gros vases de faïence,
L'amazone, déjà pleine d'impatience,
Apparaît, svelte et blonde, et
portant sous son bras
Sa lourde jupe, avec un charmant embarras.
Le fin drap noir étreint son corsage, et le moule;
Le mignon chapeau
d'homme, autour duquel s'enroule
Un voile blanc, lui jette une ombre
sur les yeux.
La badine de jonc au pommeau précieux
Frémit entre
les doigts de la jeune élégante,
Qui s'arrête un moment sur le seuil et
se gante.
Agitant les lilas en fleur, un vent léger
Passe dans ses
cheveux et les fait voltiger,
Blonde auréole autour de son front
envolée:
Et, gros comme le poing, au milieu de l'allée
De sable roux
semé de tout petits galets,
Le groom attend et tient les deux chevaux
anglais.
Et moi, flâneur qui passe et jette par la grille
Un regard
enchanté sur cette jeune fille,
Et m'en vais sans avoir même arrêté le
sien,
J'imagine un bonheur calme et patricien,
Où cette noble enfant
me serait fiancée;
Et déjà je m'enivre à la seule pensée
Des clairs
matins d'avril où je galoperais,
Sur un cheval très vif et par un vent
très frais,
À ses côtés, lancé sous la frondaison verte.
Nous irions,
par le bois, seuls, à la découverte;
Et, voulant une image au contraste
troublant
Du long vêtement noir et du long voile
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