Promenades et intérieurs | Page 4

Francois Coppée
pas ouverte, et
sur son perchoir, le macaque
Cligne ses yeux méchants et grignote
une noix
Entre la grosse caisse et le chapeau chinois;
Et deux bons
paysans sont là, bouche béante,
Devant la toile peinte où l'on voit la
géante,
Telle qu'elle a paru jadis devant les cours,
Soulevant
décemment ses jupons un peu courts
Pour qu'on ne puisse pas
supposer qu'elle triche,
Et montrant son mollet à l'empereur
d'Autriche.

J'écris ces vers, ainsi qu'on fait des cigarettes,
Pour moi, pour le
plaisir; et ce sont des fleurettes
Que peut-être il valait bien mieux ne
pas cueillir;
Car cette impression qui m'a fait tressaillir,
Ce tableau
d'un instant rencontré sur ma route,
Ont-ils un charme enfin pour
celui qui m'écoute?
Je ne le connais pas. Pour se plaire à ceci,
Est-il
comme moi-même un rêveur endurci?
Ne peut-il se fâcher qu'on lui
prête ce rôle?
-- Fi donc! lecteur, tu lis par-dessus mon épaule.
II
Mon père
Tenez, lecteur! -- souvent, tout seul, je me promène
Au lieu qui fut
jadis la barrière du Maine.
C'est laid, surtout depuis le siège de Paris.

On a planté d'affreux arbustes rabougris
Sur ces longs boulevards
où naguère des ormes
De deux cents ans croisaient leurs ramures
énormes.
Le mur d'octroi n'est plus; le quartier se bâtit.
Mais c'est là
que jadis, quand j'étais tout petit,
Mon père me menait, enfant faible
et malade,
Par les couchants d'été faire une promenade.
C'est sur
ces boulevards déserts, c'est dans ce lieu
Que cet homme de bien, pur,
simple et craignant Dieu,
Qui fut bon comme un saint, naïf comme un
poète,
Et qui, bien que très pauvre, eut toujours l'âme en fête,
Au
fond d'un bureau sombre après avoir passé
Tout le jour, se croyant
assez récompensé
Par la douce chaleur qu'au coeur nous communique

La main d'un dernier-né, la main d'un fils unique,
C'est là qu'il me
menait. Tous deux nous allions voir
Les longs troupeaux de boeufs
marchant vers l'abattoir,
Et quand mes petits pieds étaient assez
solides,
Nous poussions quelquefois jusques aux Invalides,
Où,
mêlés aux badauds descendus des faubourgs,
Nous suivions la retraite
et les petits tambours.
Et puis enfin, à l'heure où la lune se lève,

Nous prenions pour rentrer la route la plus brève;
On montait au
cinquième étage, lentement;
Et j'embrassais alors mes trois soeurs et
maman,
Assises et cousant auprès d'une bougie.

-- Eh bien, quand
m'abandonne un instant l'énergie,
Quand m'accable par trop le spleen

décourageant,
Je retourne, tout seul, à l'heure du couchant,
Dans ce
quartier paisible où me menait mon père;
Et du cher souvenir toujours
le charme opère.
Je songe à ce qu'il fit, cet homme de devoir,
Ce
pauvre fier et pur, à ce qu'il dut avoir
De résignation patiente et
chrétienne
Pour gagner notre pain, tâche quotidienne,
Et se priver
de tout, sans se plaindre jamais.
-- Au chagrin qui me frappe alors je
me soumets,
Et je sens remonter à mes lèvres surprises
Les prières
qu'il m'a dans mon enfance apprises.
Compliment
Tous ces jours-ci, mes chers lecteurs, je désirais,
Tel un petit garçon
qui, frisé tout exprès,
Présente son rouleau noué d'un ruban rose,

Vous offrir un joli compliment -- vers ou prose --
Pour l'an qui, cette
nuit, naquit et commença.
Mais, quand j'étais enfant -- oh! pas plus
haut que ça! --
Dans ce genre déjà je n'ai pas fait merveille.
Le texte
qu'à l'école on nous donnait, la veille,
Et qu'il fallait, le soir, au logis
copier,
M'effrayait. J'ai noirci, depuis, bien du papier;
Mais c'étaient
mes débuts dans la littérature.
Ces phrases, réclamant ma plus belle
écriture,
Étaient alors, pour moi, pleines de «mots d'auteur».
Sur
mon grand tabouret, pour être à la hauteur
Du pupitre, j'avais un
Boiste en deux volumes;
Devant moi, sur la table, un encrier, des
plumes,
Plus un bristol orné d'un beau feston doré
Et fleuri d'un
petit bouquet peinturluré.
Devant ce grand travail, que j'étais mal à
l'aise!
Fallait-il adopter la bâtarde ou l'anglaise?
Que faire? Je
mouillais ma plume avec effroi;
Je songeais au tableau du passage
Jouffroy,
Où monsieur Favarger mit trois ans de sa vie,

Chef-d'oeuvre et dernier mot de la calligraphie,
Qui montre aux gens,
par un tel art humiliés,
Le «Lion d'Androclès» en «pleins» et «déliés»;

Et, le dos rond, roulant les yeux, tirant la langue,

Je transcrivais
alors ma petite harangue.
Pas mal le «Chers parents, à qui je dois le
jour».
Mais, lorsque j'arrivais au «coeur rempli d'amour»,
Comment
écrire «coeur»? «Coeur», un mot difficile!...
Je m'agitais et, comme

un petit imbécile,
Je me mettais, avec des gestes consternés,
De
l'encre au bout des doigts, de l'encre au bout du nez.
Alors, j'étais
perdu. Les fautes d'orthographe
Pleuvaient. Je signais mal et ratais
mon paraphe,
Et sur mes beaux souhaits de joie et de santé
Je
laissais choir enfin un monstrueux pâté.
C'était affreux!
Pourtant,
plein d'une angoisse énorme,
Le lendemain, avec ce manuscrit
informe,
Quand je me présentais devant mes bons parents,
Ils
prenaient le papier, ouvraient les yeux tout grands,
S'écriaient: «C'est
superbe!» et, sans dédains ni moues,
Embrassaient tendrement leur
fils sur les deux joues.
Oui, ma page illisible, ils semblaient l'admirer.
Et l'on ouvrait l'armoire, et j'en voyais tirer
Des trésors, un tambour,
un fusil à capsules!
Et je m'en emparais, joyeux et sans scrupules,

Ne sachant pas alors -- pour l'enfant tout est beau --
Pourquoi mon
père avait toujours un vieux chapeau
Et pourquoi la
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