Promenades et intérieurs | Page 3

Francois Coppée


Dans ces bals qu'en hiver les mères de famille
Donnent à des
bourgeois pour marier leur fille,
En faisant circuler assez souvent, pas
trop,
Les petits-fours avec les verres de sirop,
Presque toujours la
plus jolie et la mieux mise,
Celle qui plaît et montre une grâce
permise,
Est sans dot, -- voulez-vous en tenir le pari? --
Et ne
trouvera pas, pauvre enfant, un mari.
Et son père, officier en retraite,
pas riche,
Dans un coin, fait son whist à quatre sous la fiche.

Comme à cinq ans on est une grande personne,
On lui disait parfois:
«Prends ton frère, mignonne,»
Et, fière, elle portait dans ses bras le
bébé,
Quels soins alors! L'enfant n'était jamais tombé.
Très grave,
elle jouait à la petite mère.
Hélas! le nouveau-né fut un ange

éphémère.
On prit sur son berceau mesure d'un cercueil;
Et la soeur
de cinq ans a des habits de deuil,
Ne parle ni ne joue et, très
préoccupée,
Se dit: «Je n'aime plus maintenant ma poupée.»

Je rêve, tant Paris m'est parfois un enfer,
D'une ville très calme et
sans chemin de fer,
Où, chez le sous-préfet, en vieux garçon affable,

Je lirais, au dessert, mon épître ou ma fable.
On se dirait tout bas,
comme un mignon péché,
Un quatrain très mordant que j'aurais
décoché.
Là, je conserverais de vagues hypothèques.
On voudrait
mon avis pour les bibliothèques;
Et j'y rétablirais, disciple consolé,

Nos maîtres, Esménard, Lebrun, Chênedollé.

Assis, les pieds pendants, sous l'arche du vieux pont,
Et sourd aux
bruits lointains à qui l'écho répond,
Le pêcheur suit des yeux le petit
flotteur rouge.
L'eau du fleuve pétille au soleil. Rien ne bouge.
Le
liège soudain fait un plongeon trompeur,
La ligne saute. -- Avec un
hoquet de vapeur
Passe un joyeux bateau tout pavoisé d'ombrelles;

Et, tandis que les flots apaisent leurs querelles,
L'homme, un instant
tiré de son rêve engourdi,
Met une amorce neuve et songe: -- Il est
midi.

Malgré ses soixante ans, le joyeux invalide
Sur sa jambe de bois est
encore solide.
Quand il touche l'argent de sa croix, un beau soir,
Il
s'en va, son repas serré dans un mouchoir,
Et, vers le Champ de Mars,
entraîne à la barrière,
Un conscrit, le bonnet de police en arrière;
Et
là, plein d'abandon, vers le pousse-café,
Son bâton à la main, le
bonhomme échauffé
Conte au jeune soldat et lui rend saisissable
La
bataille d'Isly qu'il trace sur le sable.

De même que Rousseau jadis fondait en pleurs
À ces seuls mots:
«Voilà de la pervenche en fleurs,»
Je sais tout le plaisir qu'un
souvenir peut faire.
Un rien, l'heure qu'il est, l'état de l'atmosphère,

Un battement de coeur, un parfum retrouvé,
Me rendent un bonheur
autrefois éprouvé.
C'est fugitif, pourtant la minute est exquise.
Et
c'est pourquoi je suis très heureux à ma guise
Lorsque, dans le
quartier que je sais, je puis voir
Un calme ciel d'octobre, à cinq heures
du soir.

Le printemps est charmant dans le Jardin des Plantes.
Les cris des
animaux, les odeurs violentes
Des arbres et des fleurs exotiques dans
l'air,
Cette création, sous un ciel pur et clair,
Tout cela fait penser au
paradis terrestre;
Et tout en écoutant, sous un sapin alpestre,
Le
grondement profond des lions en courroux,
On regarde, devant les
naïfs tourlourous,
Tendant la trompe, avec ses airs de gros espiègle,

L'éléphant engloutir les nombreux pains de seigle.

En plein soleil, le long du chemin de halage,
Quatre percherons
blancs, vigoureux attelage,
Tirent péniblement, en butant du sabot,

Le lourd bateau qui fend l'onde de l'étambot;
Près d'eux, un charretier
marche dans la poussière.
La main au gouvernail, sur le pont, à
l'arrière,
N'écoutant pas claquer le brutal fouet de cuir,
Et regardant
la rive et les nuages fuir,
Fume le marinier, sans se fouler la rate.
--
«Le peuple et le tyran!» me dit un démocrate.

Près du rail, où souvent passe comme un éclair
Le convoi furieux et
son cheval de fer,
Tranquille, l'aiguilleur vit dans sa maisonnette.

Par la fenêtre, on voit l'intérieur honnête,
Tel que le voyageur
fiévreux doit l'envier.
C'est la femme parfois qui se tient au levier,

Portant sur un seul bras son enfant qui l'embrasse.
Jetant un

sifflement atroce, le train passe
Devant l'humble logis qui tressaille au
fracas.
Et le petit enfant ne se dérange pas.

L'allée est droite et longue, et sur le ciel d'hiver
Se dressent hardiment
les grands arbres de fer,
Vieux ormes dépouillés dont le sommet se
touche.
Tout au bout, le soleil, large et rouge, se couche.
À
l'horizon il va plonger dans un moment.
Pas un oiseau. Parfois un
léger craquement
Dans les taillis déserts de la forêt muette;
Et
là-bas, cheminant, la noire silhouette,
Sur le globe empourpré qui
fond comme un lingot,
D'une vieille à bâton, ployant sous son fagot.

Hier, sur la grand'route où j'ai passé près d'eux,
Les jeunes
sourds-muets s'en allaient deux par deux,
Sérieux, se montrant leurs
mains toujours actives.
Un instant j'observai leurs mines attentives

Et j'écoutai le bruit que faisaient leurs souliers.
Je restai seul. La brise
en haut des peupliers
Murmurait doucement un long frisson de fête;

Chaque buisson jetait un trille de fauvette,
Et les grillons joyeux
chantaient dans les bleuets.
Je penserai souvent aux pauvres
sourds-muets.

Comme le champ de foire est désert, la baraque
N'est
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