Promenades et intérieurs | Page 8

Francois Coppée
désir qui va vers vous?S'accuse de n'avoir pas d'ailes.
Mai
Depuis un mois, chère exilée,?Loin de mes yeux tu t'en allas,?Et j'ai vu fleurir les lilas?Avec ma peine inconsolée.?Seul, je fuis ce ciel clair et beau?Dont l'ardent effluve me trouble,?Car l'horreur de l'exil se double?De la splendeur du renouveau.?En vain j'entends contre les vitres,?Dans la chambre où je m'enfermai,?Les premiers insectes de Mai?Heurter leurs maladroits élytres;?En vain le soleil a souri;?Au printemps je ferme ma porte?Et veux seulement qu'on m'apporte?Un rameau de lilas fleuri;?Car l'amour dont mon ame est pleine?Retrouve, parmi ses douleurs,?Ton regard dans ces chères fleurs?Et dans leur parfum ton haleine.
Juin
Dans cette vie ou nous ne sommes?Que pour un temps si t?t fini,?L'instinct des oiseaux et des hommes?Sera toujours de faire un nid;?Et d'un peu de paille ou d'argile?Tous veulent se construire, un jour,?Un humble toit, chaud et fragile,?Pour la famille et pour l'amour.?Par les yeux d'une fille d'ève?Mon coeur profondément touché?Avait fait aussi ce doux rêve?D'un bonheur étroit et caché.?Rempli de joie et de courage,?à fonder mon nid je songeais;?Mais un furieux vent d'orage?Vient d'emporter tous mes projets;?Et sur mon chemin solitaire?Je vois, triste et le front courbé,?Tous mes espoirs brisés à terre?Comme les oeufs d'un nid tombé.
Ao?t
Par les branches désordonnées?Le coin d'étang est abrité,?Et là poussent en liberté?Campanules et graminées.?Caché par le tronc d'un sapin,?J'y vais voir, quand midi flamboie,?Les petits oiseaux pleins de joie?Se livrer au plaisir du bain.?Aussi vifs que des étincelles,?Ils sautillent de l'onde au sol,?Et l'eau, quand ils prennent leur vol,?Tombe en diamants de leurs ailes.?Mais mon coeur lassé de souffrir?En les admirant les envie,?Eux qui ne savent de la vie?Que chanter, aimer et mourir!
Décembre
Le hibou parmi les décombres?Hurle, et Décembre va finir;?Et le douloureux souvenir?Sur ton coeur jette encor ses ombres.?Le vol de ces jours que tu nombres,?L'aurais-tu voulu retenir??Combien seront, dans l'avenir,?Brillants et purs; et combien, sombres??Laisse donc les ans s'épuiser.?Que de larmes pour un baiser,?Que d'épines pour une rose!?Le temps qui s'écoule fait bien;?Et mourir ne doit être rien,?Puisque vivre est si peu de chose.
III
En faction
Sur le rempart, portant mon lourd fusil de guerre,?Je vous revois, pays que j'explorais naguère,?Montrouge, Gentilly, vieux hameaux oubliés?Qui cachez vos toits bruns parmi les peupliers.?Je respire, surpris, sombre ruisseau de Bièvre,?Ta forte odeur de cuir et tes miasmes de fièvre.?Je vous suis du regard, pauvres coteaux pelés,?Tels encor que jadis je vous ai contemplés,?Et dans ce ciel connu, mon souvenir s'étonne?De retrouver les tons exquis d'un soir d'automne;?Et mes yeux sont mouillés des larmes de l'adieu.?Car mon rêve a souvent erré dans ce milieu?Que va bouleverser la dure loi du siège.?Jusqu'ici j'allongeais la cha?ne de mon piège;?Triste captif, ayant Paris pour ma prison,?Longtemps ce fut ici pour moi tout l'horizon;?Ici j'ai pris l'amour des couchants verts et roses;?Penché dès le matin sur des papiers moroses,?Dans une chambre où ma fantaisie étouffait,?C'est ici que souvent, le soir, j'ai satisfait,?à cette heure où la nuit monte au ciel et le gagne,?Mon désir de lointain, d'air libre et de campagne.?Me reprochera-t-on, dans cet affreux moment,?Un regret pour ce coin misérable et charmant??Car il va dispara?tre à tout jamais. Sans doute,?Les boulets vont couper les arbres de la route;?Et l'humble cabaret où je me suis assis,?Incendié déjà, fume au pied du glacis;?Dans ce champ dépouillé, morne comme une tombe,?Il croule, abandonné. Regardez. Une bombe?A crevé ces vieux murs qui gênaient pour le tir:?Et, tels que mon regret qui ne veut pas partir,?Se br?lant au vieux toit, quelques pigeons fidèles?L'entourent, en criant, de leurs battements d'ailes.
Le chien perdu
Quand on rentre, le soir, par la cité déserte,?Regardant sur la boue humide, grasse et verte,?Les longs sillons du gaz tous les jours moins nombreux,?Souvent un chien perdu, tout crotté, morne, affreux,?Un vrai chien de faubourg, que son trop pauvre ma?tre?Chassa d'un coup de pied en le pleurant peut-être,?Attache à vos talons obstinément son nez?Et vous lance un regard si vous vous retournez.?Quel regard! long, craintif, tout chargé de caresse,?Touchant comme un regard de pauvre ou de ma?tresse,?Mais sans espoir pourtant, avec cet air douteux?De femme dédaignée et de pauvre honteux.?Si vous vous arrêtez, il s'arrête, et, timide,?Agite faiblement sa queue au poil humide.?Sachant bien que son sort en vous est débattu,?Il semble dire: -- Allons, emmène-moi, veux-tu??On est ému, pourtant on manque de courage;?On est pauvre soi-même, on a peur de la rage,?Enfin, mauvais, on fait la mine de lever?Sa canne, on dit au chien: ?Veux-tu bien te sauver!??Et, tout penaud, il va faire son offre à d'autres.?La sinistre rencontre! et quels temps sont les n?tres!?Et quel mal nous ont fait ces féroces Prussiens,?Que les plus pauvres gens abandonnent leurs chiens?Et que, distrait du deuil public, il faille encore?Plaindre ces animaux dont le regard implore!
Tableau rural
Au village, en juillet. Un soleil accablant.?Ses lunettes au nez, le vieux charron tout blanc?Répare, près du seuil, un timon de charrue.?Le curé tout à l'heure a
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