Promenades et intérieurs | Page 9

Francois Coppée
traversé la rue,?Nu-tête. Les trois quarts ont sonné, puis plus rien,?Sauf monsieur le marquis, un gros richard terrien,?Qui passe, en berlingot[2] et la pipe à la bouche,?Et qui, pour délivrer sa jument d'une mouche,?Lance des claquements de fouet très campagnards?Et fait fuir, effarés, coqs, poules et canards.
Croquis de banlieue
L'homme, en manches de veste, et sous son chapeau noir,?à cause du soleil, ayant mis son mouchoir,?Tire gaillardement la petite voiture,?Pour faire prendre l'air à sa progéniture,?Deux bébés, l'un qui dort, l'autre su?ant son doigt.?La femme suit et pousse, ainsi qu'elle le doit,?Très lasse, et sous son bras portant la redingote;?Et l'on s'en va d?ner dans une humble gargote?Où sur le mur est peint -- vous savez? à Clamart! --?Un lapin mort, avec trois billes de billard.
Cheval de Renfort
Le cheval qu'a jadis réformé la remonte?Est là, près du trottoir du long faubourg qui monte,?Pour qu'on l'attelle en flèche au prochain omnibus.?Il a cet air navré des animaux fourbus,?Sous son sale harnais qui tra?ne par derrière.?Mais lorsque, précédés d'une marche guerrière,?Des soldats font venir les femmes aux balcons,?Il se souvient alors du sixième dragon?Et du soleil luisant sur les lattes vermeilles;?Et le vieux vétéran redresse les oreilles.
Au bord de la Marne
C'est régate à Joinville. On tire le pétard.?Les cinq canots, deux en avant, trois en retard,?Partent, et de soleil la rivière est criblée.?Sur la berge, là-bas, la foule est assemblée,?Et la gendarmerie est en pantalon blanc.?-- Et l'on prévoit, ce soir, les rameurs s'attablant?Au cabaret, les chants des joyeuses équipes,?Les nocturnes bosquets constellés par les pipes,?Et les papillons noirs qui, dans l'air échauffé,?Se br?lent au cognac flambant sur le café.
Rythme des vagues
J'étais assis devant la mer sur le galet.?Sous un ciel clair, les flots d'un azur violet,?Après s'être gonflés en accourant du large,?Comme un homme accablé d'un fardeau s'en décharge,?Se brisaient devant moi, rythmés et successifs?J'observais ces paquets de mer lourds et massifs?Qui marquaient d'un hourra leurs chutes régulières?Et puis se retiraient en ralant sur les pierres.?Et ce bruit m'enivrait; et pour écouter mieux?Je me voilai la face et je fermai les yeux.?Alors, en entendant les lames sur la grève?Bouillonner et courir, et toujours, et sans trêve?S'écrouler en faisant ce fracas cadencé,?Moi, l'humble observateur du rythme, j'ai pensé?Qu'il doit être en effet une chose sacrée,?Puisque Celui qui sait, qui commande et qui crée,?N'a tiré du néant ces moyens musicaux,?Ces falaises au roc creusé par les échos,?Ces sonores cailloux, ces stridents coquillages,?Incessamment heurtés et roulés sur les plages?Par la vague, pendant tant de milliers d'hivers,?Que pour que l'Océan nous récitat des vers.
Matin d'octobre
C'est l'heure exquise et matinale?Que rougit un soleil soudain.?à travers la brume automnale?Tombent les feuilles du jardin.?Leur chute est lente. On peut les suivre?Du regard en reconnaissant?Le chêne à sa feuille de cuivre,?L'érable à sa feuille de sang.?Les dernières, les plus rouillées,?Tombent des branches dépouillées:?Mais ce n'est pas l'hiver encor.?Une blonde lumière arrose?La nature, et, dans l'air tout rose,?On croirait qu'il neige de l'or.
Musée de marine
Au Louvre, je vais voir ces délicats modèles?Qui montrent aux oisifs les richesses d'un port,?Je connais l'armement des vaisseaux de haut-bord?Et la voilure des avisos-hirondelles.?J'aime cette flottille avec ses bagatelles,?Le carré d'Océan qui lui sert de support,?Ses petits canons noirs se montrant au sabord,?Et ses mille haubans fins comme des dentelles.?Je suis un loup de mer et sais apprécier?Le blindage de cuivre et les ancres d'acier:?Car tous ces riens de bois, de ficelle et de liège?M'ont souvent fait trouver les dimanches bien courts.?Et, for?at de Paris dès longtemps pris au piège,?C'est là que j'ai rêvé le voyage au long cours.
Nostalgie parisienne
Bon Suisse expatrié, la tristesse te gagne,?Loin de ton Alpe blanche aux éternels hivers;?Et tu songes alors aux prés de fleurs couverts,?à la corne du patre, au loin, dans la montagne.?Lassé parfois, je fuis la ville comme un bagne,?Et son ciel fin, miré dans la Seine aux flots verts.?Mais c'est là que mes yeux d'enfant se sont ouverts,?Et le mal du pays me prend, à la campagne.?Le vrai fils de Paris ne regrette pas moins?Le relent du pavé que, toi, l'odeur des foins.?Montagnard nostalgique, -- il faut que tu le saches, --?Mon coeur, comme le tien, fidèle et casanier,?Souffre en exil, et l'air strident du fontainier?Me ferait fondre en pleurs ainsi qu'un Ranz des Vaches.
IV
à mes jeunes camarades, aux équipiers du Club nautique de Chatou
Jadis, la Seine était verte et pure à Saint-Ouen,?Et, dans cette banlieue aujourd'hui sale et rêche,?J'ai canoté, j'ai même essayé de la pêche.?Le lieu semblait alors champêtre. Que c'est loin!?On d?nait là. Le beurre, au cabaret du coin,?était rance, et le vin fait de bois de campêche.?Mais les charmants retours, sur l'eau, dans la nuit fra?che, Quand, sur les prés fauchés, flottait l'odeur du foin!?Oh! quels vieux souvenirs et comme le temps marche!?Pourtant je vois encor le couchant, sous une arche,?Refléter ses rubis dans les flots miroitants.?Amis, embarquez-moi sur vos bateaux à voiles,?Par
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