Promenades et intérieurs | Page 6

Francois Coppée
ses flots parleurs,?Nous vous trouverons, choses parfumées,?Moi, glanant des vers, toi, cueillant des fleurs.?Et l'amour, servant notre fantaisie,?Fera, ce jour-là, l'été plus charmant:?Je serai poète, et toi poésie;?Tu seras plus belle, et moi plus aimant.
La ferme
La maison, aujourd'hui ferme, jadis chateau,?A bon air. Un fossé l'entoure; un vieux bateau,?Plein de feuillage mort, pourrit là, sous le saule.?Par l'étroit pont de pierre où la volaille piaule?Répondant à grands cris aux canards du fossé,?Et par la vo?te sombre au cintre surbaissé,?On entre dans la cour spacieuse et carrée?Que jonchent le fumier et la paille dorée.?Avant le déjeuner, parfois j'en fais le tour.?Je regarde rentrer les bêtes de labour,?Gros chevaux pommelés, les pieds velus, la queue?Troussée, avec le lourd collier de laine bleue,?Le gland rouge à l'oreille, et le grossier harnais.?Je fus un paysan jadis, je m'y connais,?Je parle aux laboureurs, je leur dis ma recette?Pour extirper du blé la nielle et la luzette?Et que le temps humide est meilleur pour faucher.?La grosse cuisinière alors vient me chercher;?Je rentre dans la salle à manger confortable?Où je trouve Suzanne arrangeant sur la table?Les fruits de la saison dans un grand plat de Gien.?On déjeune ga?ment. Quelquefois le vieux chien?Qu'on tolère au logis, car il n'est plus ingambe,?Vient poser en grondant sa gueule sur ma jambe?Pour avoir un morceau qu'il avale d'un coup.?En prenant le café, nous fumons, pas beaucoup.?Puis mes h?tes vont voir leurs travaux de campagne,?Ils prennent le panier, et je les accompagne.?La voiture d'osier a trois places. Devant,?La chère blonde, avec son voile brun au vent,?-- Tandis que le papa maintient au trot Cocotte, --?Se retourne, voulant mettre dans la capote?Son parasol doublé de vert et ses bouquets.?Moi, derrière, occupant le siège du laquais,?Pour l'aider je m'incline, et je la touche presque.?-- Et nous suivons alors un chemin pittoresque,?Où souvent, par-dessus les grands épis penchés,?Nous regardent de loin les pointes des clochers.
La cueillette des cerises
Espiègle! j'ai bien vu tout ce que vous faisiez,?Ce matin, dans le champ planté de cerisiers?Où seule vous étiez, nu-tête, en robe blanche.?Caché par le taillis, j'observais. Une branche,?Lourde sous les fruits m?rs, vous barrait le chemin?Et se trouvait à la hauteur de votre main.?Or, vous avez cueilli des cerises vermeilles,?Coquette! et les avez mises à vos oreilles,?Tandis qu'un vent léger dans vos boucles jouait.?Alors, vous asseyant pour cueillir un bleuet?Dans l'herbe, et puis un autre, et puis un autre encore,?Vous les avez piqués dans vos cheveux d'aurore;?Et, les bras recourbés sur votre front fleuri,?Assise dans le vert gazon, vous avez ri;?Et vos joyeuses dents jetaient une étincelle.?Mais pendant ce temps-là, ma belle demoiselle,?Un seul témoin, qui vous gardera le secret,?Tout heureux de vous voir heureuse, comparait,?Sur votre frais visage animé par les brises,?Vos regards aux bleuets, vos lèvres aux cerises.
Le rêve du poète
Ce serait sur les bords de la Seine. Je vois?Notre chalet, voilé par un bouquet de bois.?Un hamac au jardin, un bateau sur le fleuve.?Pas d'autre compagnon qu'un chien de Terre-Neuve?Qu'elle aimerait et dont je serais bien jaloux.?Des fa?ences à fleurs pendraient après des clous;?Puis beaucoup de chapeaux de paille et des ombrelles.?Sous leurs papiers chinois les murs seraient si frêles?Que même, en travaillant, à travers la cloison?Je l'entendrais toujours errer par la maison?Et tra?ner dans l'étroit escalier sa pantoufle.?Les miroirs de ma chambre auraient senti son souffle?Et souvent réfléchi son visage, charmés.?Elle aurait effleuré tout de ses doigts aimés.?Et ces bruits, ces reflets, ces parfums, venant d'elle,?Ne me permettraient pas d'être une heure infidèle.?Enfin, quand, poursuivant un vers capricieux,?Je serais là, pensif et la main sur les yeux,?Elle viendrait, sachant pourtant que c'est un crime,?Pour lire mon poème et me souffler ma rime,?Derrière moi, sans bruit, sur la pointe des pieds.?Moi, qui ne veux pas voir mes secrets épiés,?Je me retournerais avec un air farouche;?Mais son gentil baiser me fermerait la bouche.?-- Et dans les bois voisins, inondés de rayons,?Précédés du gros chien, nous nous promènerions,?Moi, vêtu de coutil, elle, en toilette blanche,?Et j'envelopperais sa taille, et sous sa manche?Ma main caresserait la rondeur de son bras.?On ferait des bouquets, et, quand nous serions las?On rejoindrait, toujours suivis du chien qui jappe,?La table mise, avec des roses sur la nappe,?Près du bosquet criblé par le soleil couchant;?Et, tout en s'envoyant des baisers en mangeant,?Tout en s'interrompant pour se dire: Je t'aime!?On assaisonnerait des fraises à la crème,?Et l'on bavarderait comme des étourdis?Jusqu'à ce que la nuit descende...?-- ? Paradis!
La mémoire
Souvent, lorsque la main sur les yeux, je médite,?Elle m'appara?t, svelte et la tête petite,?Avec ses blonds cheveux coupés courts sur le front.?Trouverai-je jamais des mots qui la peindront,?La chère vision que malgré moi j'ai fuie??Qu'est auprès de son teint la rose après la pluie??Peut-on comparer même au chant du bengali?Son exotique accent, si clair et si joli??Est-il une grenade entr'ouverte qui rende?L'incarnat de sa bouche adorablement grande??Oui, les astres sont purs, mais aucun dans
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