Promenades et intérieurs | Page 5

Francois Coppée
somme,?Si, du berceau d'osier au cercueil de sapin,?Toute sa vie, il a de l'amour et du pain.?Mes honnêtes parents n'eurent pas davantage;?Mais la bonté régnait dans leur coeur sans partage.?Des sentiments profonds ils ont connu le prix,?Et, si je sais aimer, c'est qu'ils me l'ont appris.?Et tel riche, donnant de splendides étrennes,?N'éprouve pas leur joie en ces heures sereines,?Quand ils payaient, ayant épargné quelques sous,?Mon mauvais compliment par de pauvres joujoux.?Mes amis, en ce jour qui groupe la famille,?Si cher que soit le pain, si peu que le feu brille,?épanouissez-vous, ne devenez pas durs.?Quand les enfants viendront vous tendre leurs fronts purs,?à défaut de cadeaux, comblez-les de caresses.?Entretenez en eux le foyer des tendresses,?Comme, en soufflant dessus, on rallume un charbon.?Le méchant souffre, et presque aucun homme n'est bon?Que grace aux souvenirs de son enfance aimée,?Dont son ame demeure à jamais parfumée.
Morceau à quatre mains
Le salon s'ouvre sur le parc?Où les grands arbres, d'un vert sombre,?Unissent leurs rameaux en arc?Sur les gazons qu'ils baignent d'ombre.?Si je me retourne soudain?Dans le fauteuil où j'ai pris place,?Je revois encor le jardin?Qui se reflète dans la glace;?Et je go?te l'amusement?D'avoir, à gauche comme à droite,?Deux parcs, pareils absolument,?Dans la porte et la glace étroite.?Par un jeu charmant du hasard,?Les deux jeunes soeurs, très exquises,?Pour jouer un peu de Mozart,?Au piano se sont assises.?Comme les deux parcs du décor,?Elles sont tout à fait pareilles;?Les quatre mêmes bijoux d'or?Scintillent à leurs quatre oreilles.?J'examine autant que je veux,?Grace aux yeux baissés sur les touches,?La même fleur sur leurs cheveux,?La même fleur sur leurs deux bouches;?Et parfois, pour mieux regarder,?Beaucoup plus que pour mieux entendre,?Je me lève et viens m'accouder?Au piano de palissandre.
Adagio
La rue était déserte et donnait sur les champs.?Quand j'allais voir l'été les beaux soleils couchants?Avec le rêve aimé qui partout m'accompagne,?Je la suivais toujours pour gagner la campagne,?Et j'avais remarqué que, dans une maison?Qui fait l'angle et qui tient, ainsi qu'une prison,?Fermée au vent du soir son étroite persienne,?Toujours à la même heure, une musicienne?Mystérieuse, et qui sans doute habitait là,?Jouait l'adagio de la sonate en _la.?_Le ciel se nuan?ait de vert tendre et de rose.?La rue était déserte; et le flaneur morose?Et triste, comme sont souvent les amoureux,?Qui passait, l'oeil fixé sur les gazons poudreux,?Toujours à la même heure, avait pris l'habitude?D'entendre ce vieil air dans cette solitude.?Le piano chantait sourd, doux, attendrissant,?Rempli du souvenir douloureux de l'absent?Et reprochant tout bas les anciennes extases.?Et moi, je devinais des fleurs dans de grands vases,?Des parfums, un profond et funèbre miroir,?Un portrait d'homme à l'oeil fier, magnétique et noir,?Des plis majestueux dans les tentures sombres,?Une lampe d'argent, discrète, sous les ombres,?Le vieux clavier s'offrant dans sa froide paleur,?Et, dans cette atmosphère émue, une douleur?épanouie au charme ineffable et physique?Du silence, de la fra?cheur, de la musique.?Le piano chantait toujours plus bas, plus bas.?Puis, un certain soir d'ao?t, je ne l'entendis pas.?Depuis, je mène ailleurs mes promenades lentes.?Moi qui hais et qui fuis les foules turbulentes,?Je regrette parfois ce vieux coin négligé.?Mais la vieille ruelle a, dit-on, bien changé:?Les enfants d'alentour y vont jouer aux billes,?Et d'autres pianos l'emplissent de quadrilles.
L'amazone
Devant le frais cottage au gracieux perron,?Sous la porte que timbre un tortil de baron,?Debout entre les deux gros vases de fa?ence,?L'amazone, déjà pleine d'impatience,?Appara?t, svelte et blonde, et portant sous son bras?Sa lourde jupe, avec un charmant embarras.?Le fin drap noir étreint son corsage, et le moule;?Le mignon chapeau d'homme, autour duquel s'enroule?Un voile blanc, lui jette une ombre sur les yeux.?La badine de jonc au pommeau précieux?Frémit entre les doigts de la jeune élégante,?Qui s'arrête un moment sur le seuil et se gante.?Agitant les lilas en fleur, un vent léger?Passe dans ses cheveux et les fait voltiger,?Blonde auréole autour de son front envolée:?Et, gros comme le poing, au milieu de l'allée?De sable roux semé de tout petits galets,?Le groom attend et tient les deux chevaux anglais.?Et moi, flaneur qui passe et jette par la grille?Un regard enchanté sur cette jeune fille,?Et m'en vais sans avoir même arrêté le sien,?J'imagine un bonheur calme et patricien,?Où cette noble enfant me serait fiancée;?Et déjà je m'enivre à la seule pensée?Des clairs matins d'avril où je galoperais,?Sur un cheval très vif et par un vent très frais,?à ses c?tés, lancé sous la frondaison verte.?Nous irions, par le bois, seuls, à la découverte;?Et, voulant une image au contraste troublant?Du long vêtement noir et du long voile blanc,?Je la comparerais, dans ma course auprès d'elle,?à quelque fugitive et sauvage hirondelle.
Ritournelle
Dans la plaine blonde et sous les allées,?Pour mieux faire accueil au doux messidor,?Nous irons chasser les choses ailées,?Moi, la strophe, et toi, les papillons d'or.?Et nous choisirons les routes tentantes,?Sous les saules gris et près des roseaux,?Pour mieux écouter les choses chantantes,?Moi, le rythme, et toi, le choeur des oiseaux.?Suivant tous les deux les rives charmées?Que le fleuve bat de
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