Promenades autour dun village | Page 8

George Sand
du sol.
Je fis la conversation avec Moreau. C'est un malin, un sceptique et un railleur; mais c'est un grand philosophe.
--J'ai eu bien du mal depuis que nous ne nous sommes vus, me dit-il. Je ne sais pas, si vous vous souvenez que j'��tais mari��. J'ai perdu ma femme. J'��tais un peu meunier et un peu ouvrier. Mais, seul du village o�� vous avez laiss�� hier votre voiture, je n'ai que mon corps et ma maison. Dans nos petits bourgs, tout le monde est propri��taire, et il n'y a point de malheureux. Moi, j'ai bien un roc.... �� propos, le voulez-vous, mon roc? Vous savez, vous disiez dans le temps que vous voudriez avoir un coin sur la Creuse? Je ne vous vends pas le mien; je vous le donne. Il n'y pousse que de la foug��re, et je n'ai pas de quoi y nourrir un mouton. Je paye cinq sous d'imposition pour ce rocher, et voil�� tout ce que j'en retire. Dame, il est grand, vous auriez de quoi y batir une belle maison, en d��pensant d'abord une dizaine de mille francs pour tailler la roche et faire l'emplacement. Allons, vous n'en voulez pas? Vous avez raison. Je n'en veux pas non plus. Aussi il reste l�� bien tranquille. Y va qui veut ... c'est-��-dire qui peut!
--Comment avez-vous pu ��lever votre famille? Car vous avez des enfants!
--Ils se sont ��lev��s comme ils ont pu, un peu chez moi, un peu chez les autres. Ma fille est une belle fille, vous l'avez vue hier. Elle sait faire la cuisine et parler espagnol.
--Espagnol?
--Oui, elle a suivi en Espagne une bourgeoise d'ici, mari��e avec un monsieur de ce pays-l��. Mon gar?on est au service. C'est un bon enfant, bien doux, fait �� tout, comme moi. Vous me demanderez ce que je fais, �� pr��sent; je n'en sais rien, une chose et l'autre; je ne peux plus travailler. Voyez: en chassant, j'ai mal tourn�� mon fusil; j'ai eu la main travers��e, et l'autre moiti�� de la charge m'a caress�� la t��te. On dit dans le pays qu'il ne m'y est pas rest�� assez de plomb. Je crois bien! pendant quinze jours, le m��decin n'a pas fait autre chose que de m'en arracher. Tous les matins, je l'entendais dire en sortant: ?C'est un homme mort!? Et moi, je me dressais sur mon lit pour lui crier, du mieux que je pouvais: ?Vous dites des b��tises, je n'en veux pas mourir, et je n'en mourrai pas.? Apr��s que j'en ai ��t�� revenu, j'ai recommenc�� �� p��cher et �� chasser. J'ai voulu encore un peu travailler; mais le travail m'a port�� malheur. Un maladroit m'a d��mis l'��paule en me jetant �� faux un sac de bl�� du haut d'une voiture. ?a ne fait rien, je marche, je chasse et je p��che toujours. Je conduis les artistes et les voyageurs. Je sais les chemins comme personne, et je vous dirais comment sont faits tous les cailloux de la Creuse. Je fais les commissions du chateau et de l'auberge, j'approvisionne l'un et l'autre avec mon poisson. Je me passe de tout quand je n'ai rien; je n'use pas les draps, je dors une heure sur douze. Je passe mes nuits dans l'eau �� guetter les truites. Dans le jour, si je suis las, je fais un somme o�� je me trouve. Si c'est sur une pierre ou sur un banc, j'y dors aussi bien que sur la paille. Je ne me soucie point de la toilette. F��tes et dimanches, j'ai les m��mes habits que dans la semaine, puisque je n'ai que ceux que mon corps peut porter. Je suis toujours de bonne humeur, soit qu'on me donne cinq francs ou cinquante centimes pour mes peines. Le voyageur est toujours aimable, et, pourvu que je coure et que je cause, je suis content de m'instruire. Voil��! Quand je ne serai plus bon �� rien, ma famille s'arrangera pour me nourrir, et, si elle me laisse crever comme un chien, ce sera tant pis pour elle au dernier jugement.
Des anciens chemins p��rilleux par o�� l'on arrivait �� Chateaubrun, nous ne retrouvames plus que l'emplacement. On y descend doucement par le plateau, et la nouvelle route qui c?toie tranquillement le pr��cipice a ?t�� beaucoup de caract��re �� cette sc��ne autrefois si sauvage.
La ruine est toujours grandiose. Le marquis de notre village l'a achet��e, avec son vaste enclos, pour deux mille cinq cents francs. Il la tient ferm��e, et il avait bien voulu nous en confier les clefs.
Nous v?mes que ce noble lieu ��tait moins fr��quent�� qu'autrefois. L'herbe haute et fleurie du pr��au ��tait vierge de pas humains. Toutes choses, d'ailleurs, exactement dans le m��me ��tat qu'il y a douze ans: la grande vo?te d'entr��e avec sa double herse, la vaste salle des gardes avec sa monumentale chemin��e, le donjon formidable de cent
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