réprouve hautement l'immorale
tendance.
Le sujet que recèle cette missive m'a semblé assez ingénieux pour
amuser, durant quelques minutes, la masse croissante et si fine de nos
lecteurs.
«Cher monsieur Allais,
» Malgré tous vos louables efforts pour imprimer à l'industrie un
mouvement ascensionnel, pour engrener la science sur des rails inédits,
pour,--en un mot--renouveler la face du monde actif, les affaires--(il est
lamentable de le constater)--marchent de mal en pis, le commerce ne
bat plus que d'une aile, le marché devient de plus en plus lourd, comme
disent les agioteurs.
» Pour peu qu'ils soient probes, les trafiquants se voient destinés à une
ruine certaine doublée d'un déshonneur imminent.
» C'est, pénétré de ces tristes remarques que je me suis décidé, dans ma
hâte de jouir des bienfaits de la vie, à me mettre voleur.
» Tout aussi propre à exercer que n'importe quel commerce, le vol
possède l'avantage d'enrichir plus vite celui qui le pratique et d'apporter
à l'existence plus d'imprévu que ne saurait le faire le métier le moins
monotone.
» Je me suis composé, monsieur, une moralité aussi haute que celle
émanant du Code Napoléon.
(Napoléon! Ça lui allait bien, à celui-là, de codifier la protection de la
vie humaine et de la propriété!)
» Je ne vole que les riches, et c'est du superflu de ces messieurs que je
forge mon nécessaire.
» Jusqu'à présent, n'est-ce pas, mon cher Allais, rien d'extraordinaire;
mais voici éclater mon originalité:
» Non seulement je me moque du Code, mais aussi je me ris de la
maréchaussée.
» Je me suis rendu imprenable, ou à peu près (car, en ce bas-monde, on
ne peut répondre de rien).
» Aidé d'une femme remarquablement intelligente, ma maîtresse, je
dérobe (et rien n'est plus facile) les enfants en bas âge appartenant à des
familles riches.
» Le soir même de ce rapt, la famille riche du bébé reçoit, par une voie
mystérieuse, une lettre et un panier renfermant un pigeon voyageur.
» La lettre dit en substance: « Famille riche, si tu veux revoir ton
pauvre enfant, insère dans la pochette attachée au cou du présent
pigeon, dix jolis billets de mille francs, et demain matin, à la première
heure, ton pauvre sale gosse te sera rendu.»
» Ce truc si simple ne rate jamais; allez donc suivre un pigeon
voyageur dans les hautains firmaments!
» Mon pigeonnier est établi dans une nation voisine de la France, en un
petit endroit plutôt écarté dont vous m'excuserez de ne pas vous
indiquer l'adresse exacte.
» Et puis, tout cela, entre nous, n'est-ce pas, car ce genre d'industrie un
peu spéciale ne gagne rien à une publicité, si intelligente soit-elle.
» Je serre, cher monsieur Allais, votre rude main caleuse de travailleur
opiniâtre.
Signature illisible, Pas d'adresse.
Où s'arrêteront l'audace et l'ingéniosité des malfaiteurs? C'est ce que se
demandent les honnêtes gens, non sans une certaine appréhension.
SENTINELLES, VEILLEZ!
Aux yeux de tous les personnages compétents, le chien est appelé à
jouer un rôle considérable dans les grandes guerres européennes.
Chiens sentinelles, chiens éclaireurs, chiens anticyclistes, chiens
estafettes, on les met à toutes les sauces, les pauvres toutous.
Dans ce curieux sport, l'Allemagne, sans contredit, marche à la tête des
autres nations militaires, et, chaque jour, c'est à qui de MM. les
officiers prussiens imaginera une nouvelle application du chien à un
emploi militaire.
Me promenant récemment dans les environs les moins explorés de
Koenigsberg, j'ai été assez heureux pour assister (par le plus grand des
hasards, d'ailleurs, car je m'étais trompé de route) à des exercices
infiniment suggestifs et qu'il importe de dévoiler au plus tôt.
On jugera de la stupeur qui m'envahit quand, d'un petit bois où je me
trouvais égaré, j'aperçus la scène suivante:
Des soldats français et des soldats russes (je crus rêver!) ou
plutôt--disons-le dès maintenant--des Allemands déguisés en Français
et en Russes, fantassins, cavaliers, artilleurs, etc., etc., donnaient à
manger à une forte meute de chiens, de ces gros chiens comme on en
rencontre dans les Flandres, qui traînent des voitures à lait.
Et c'étaient des caresses, et c'étaient des bonnes paroles et de gros
morceaux de viande!
Quand les chiens furent bien gavés, tous ces faux Français, tous ces
pseudo-Russes les attelèrent à de petits chariots, les attachèrent à des
piquets, grimpèrent à cheval et disparurent bientôt au loin.
Quelques instants plus tard surgissaient d'autres soldats, d'uniforme
allemand ceux-là, qui se précipitèrent sur les chiens à coups de pied, à
coups de fouet, et arrachant aux pauvres animaux les quelques os qu'ils
rongeaient encore.
Après quoi, ils les détachèrent au son de mille horribles clameurs.
Comme bien vous le pensez, les infortunées bêtes n'attendirent point
leur reste: en quelques minutes, tous les chiens, au grand galop, avaient
rejoint leurs bienfaiteurs français et russes, là-bas, dans la campagne.
Qu'est-ce que cet
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