Port-Tarascon | Page 8

Alphonse Daudet
et un pavillon de ciboire.
_La m��me_: Une collection de col��opt��res sous verre.
Et, r��guli��rement, dans chaque liste, ��tait mentionn�� un envoi de Mlle Tournatoire: Costume complet pour habiller un sauvage. C'��tait sa pr��occupation constante, �� cette bonne vieille demoiselle.
Tous ces dons bizarres, fantaisistes, o�� la cocasserie m��ridionale ��talait son imagination, ��taient dirig��s par pleines caisses sur les docks, les grands magasins de la Colonie libre, ��tablis �� Marseille. Le duc de Mons avait fix�� l�� son centre d'op��rations.
De ses bureaux, luxueusement install��s, il brassait en grand les affaires, montait des soci��t��s de distillerie de canne �� sucre ou d'exploitation du tripang, sorte de mollusque dont les Chinois sont tr��s friands et qu'ils payent fort cher, disait le prospectus. Chaque journ��e de l'infatigable duc voyait ��clore une id��e nouvelle, poindre quelque grande machination qui le soir m��me se trouvait lanc��e.
Entre temps, il organisait un comit�� d'actionnaires marseillais sous la pr��sidence du banquier grec Kagaraspaki, et des fonds ��taient vers��s �� la banque ottomane Pamenya?-ben-Kaga, maison de toute s��curit��.
Tartarin passait maintenant sa vie, une vie enfi��vr��e, �� voyager de Tarascon �� Marseille et de Marseille �� Tarascon. Il chauffait l'enthousiasme de ses concitoyens, continuait la propagande locale, et tout �� coup filait par l'express pour aller assister �� quelque conseil, quelque r��union d'actionnaires. Son admiration pour le duc grandissait chaque jour.
Il donnait �� tous comme exemple le sang-froid du duc de Mons, la raison du duc de Mons:
?Pas de danger qu'il exag��re, celui-l��; avec lui, pas de ces coups de mirage que Daudet nous a tant reproch��s!?
En revanche, le duc se montrait peu, toujours abrit�� sous sa gaze �� moustiques, parlait encore moins. L'homme du Nord s'effa?ait devant l'homme du Midi, le mettait sans cesse en avant et laissait �� son intarissable faconde le soin des explications, des promesses, de tous les engagements. Il se contentait de dire:
?Monsieur Tartarin conna?t seul toute ma pens��e.?
Et vous jugez si Tartarin ��tait fier!
Chapitre III
_La ?Gazette de Port-Tarascon?. -- Bonnes nouvelles de la colonie. -- En Polygamille -- Tarascon se pr��pare �� lever l'ancre. -- ?Ne partez pas! Au nom du ciel, ne partez pas!?_
Un matin, Tarascon s'��veilla avec cette d��p��che �� tous les coins de rue:
_La ?Farandole?, grand voilier de douze cents tonneaux, vient de quitter Marseille au point du jour, emportant dans ses flancs, avec les destin��es de tout un peuple, des pacotilles pour les sauvages et un chargement d'instruments aratoires. Huit cents ��migrants �� bord, tous Tarasconnais, parmi lesquels Bompard, gouverneur provisoire de la colonie, B��zuquet, m��decin-pharmacien, le R��v��rend P��re Vezole, le notaire Cambalette, cadastreur. Je les ai conduits moi-m��me au large. Tout va bien. Le duc rayonne, Faites imprimer._
TARTARIN DE TARASCON.
Ce t��l��gramme, affich�� dans toute la ville par les soins de Pascalon, �� qui il ��tait adress��, la remplit d'all��gresse. Les rues avaient pris un air de f��te, tout le monde dehors, des groupes arr��t��s devant chaque affiche de la bienheureuse d��p��che, dont les mots se r��p��taient de bouche en bouche:
?Huit cents ��migrants �� bord... Le duc rayonne...? Et pas un Tarasconnais qui ne rayonnat comme le duc.
C'��tait la deuxi��me fourn��e d'��migrants qu'un mois apr��s la premi��re emport��e par le vapeur Lucifer, Tartarin, investi du beau titre et des importantes fonctions de gouverneur de Port- Tarascon, exp��diait ainsi de Marseille vers la terre promise. Les deux fois, m��me d��p��che, m��me enthousiasme, m��me rayonnement du duc. Le Lucifer, malheureusement, n'avait pas encore d��pass�� l'entr��e de l'isthme de Suez. Arr��t�� l�� par un accident, son arbre de couche cass��, ce vieux vapeur achet�� d'occasion devait attendre d'��tre ralli�� et secouru par la Farandole pour continuer sa route.
Cet accident, qui aurait pu sembler de mauvais augure, ne refroidissait en rien l'enthousiasme colonisateur des Tarasconnais. Il est vrai qu'�� bord de ce premier navire ne se trouvait que la rafataille; vous savez, les gens du commun, ceux qu'on envoie toujours en avant-garde.
Sur la Farandole, de la rafataille encore, m��l��e de quelques cerveaux br?l��s, tels que le notaire Cambalalette, cadastreur de la colonie. Le pharmacien B��zuquet, homme paisible malgr�� ses formidables moustaches, aimant ses aises, craignant le chaud et le froid, peu port�� aux aventures lointaines et p��rilleuses, avait longtemps r��sist�� avant de consentir �� s'embarquer.
Il ne fallait rien moins pour le d��cider que le dipl?me de m��decin, envi�� pendant toute sa vie, ce dipl?me que le gouverneur de Port-Tarascon lui d��cernait aujourd'hui de son autorit�� priv��e.
Il en d��cernait bien d'autres, le gouverneur! des dipl?mes, des brevets, des commissions, nommant directeurs, sous-directeurs, secr��taires, commissaires, grands de premi��re classe et de deuxi��me classe, ce qui lui permettait de satisfaire le go?t de ses compatriotes pour tout ce qui est titre, honneur, distinction, costume et soutache.
L'embarquement du P��re Vezole n'avait rien n��cessit�� de semblable. Une si brave pate d'homme, toujours pr��t �� tout, content de tout, disant:
?Dieu soit lou��! �� tout ce qui arrivait. Dieu soit lou��! Quand il avait
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