Port-Tarascon | Page 9

Alphonse Daudet
d? quitter le couvent; Dieu soit lou��! Quand il s'��tait vu fourrer �� bord de ce grand voilier, p��le-m��le avec la rafataille, les destin��es de tout un peuple et les pacotilles pour sauvages.
La Farandole partie, il ne restait plus que la noblesse et la bourgeoisie. Pour ceux-ci, rien ne pressait: ils laissaient �� l'avant-garde le temps d'envoyer des nouvelles de son arriv��e l��- bas, afin qu'on s?t �� quoi s'en tenir.
Tartarin, lui non plus, en sa qualit�� de gouverneur, d'organisateur, de d��positaire de la pens��e du duc de Mons, ne pouvait quitter la France qu'avec le dernier convoi. Mais en attendant ce jour impatiemment d��sir��, il d��ployait cette ��nergie, ce feu au corps que l'on a pu admirer dans toutes ses entreprises.
Sans cesse en route entre Tarascon et Marseille, insaisissable comme un m��t��ore qu'emporte une invisible force, il n'apparaissait, ici ou l��, que pour repartir aussit?t.
?Vous vous fatiguez trop, Ma?...a?... tre!...? b��gayait Pascalon, les soirs o�� le grand homme arrivait �� la pharmacie, le front fumant, le dos arrondi.
Mais Tartarin se redressait:
?Je me reposerai l��-bas. �� l'oeuvre, Pascalon, �� l'oeuvre!?
L'��l��ve charg�� de la garde de la pharmacie depuis le d��part de B��zuquet, cumulait avec cette responsabilit�� de bien plus importantes fonctions.
Pour continuer la propagande si bien commenc��e, Tartarin publiait un journal, la _Gazette de Port-Tarascon_, que Pascalon r��digeait �� lui seul de la premi��re �� la derni��re ligne, d'apr��s les indications, et sous la direction supr��me du gouverneur.
Cette combinaison nuisait bien un peu aux int��r��ts de la pharmacie; les articles �� ��crire, les ��preuves �� corriger, les courses �� l'imprimerie, ne laissaient gu��re de temps aux travaux d'officine, mais Port-Tarascon, avant tout!
La Gazette donnait chaque jour au public de la m��tropole les nouvelles de la colonie. Elle contenait des articles sur ses ressources, ses beaut��s, son magnifique avenir; on y trouvait aussi des faits divers, des vari��t��s, des r��cits pour tous les go?ts.
R��cits de voyages �� la d��couverte des ?les, conqu��tes, combats contre les sauvages, pour les esprits aventureux. Aux gentilshommes campagnards, des histoires de chasse �� travers les for��ts, d'��tonnantes parties de p��che sur des rivi��res extraordinairement poissonneuses, avec description des m��thodes et des engins de p��che des naturels du pays.
Les gens plus, paisibles, boutiquiers braves bourgeois s��dentaires, se d��lectaient �� la lecture de quelque frais d��jeuner sur l'herbe au bord d'un ruisseau �� cascade, sous l'ombre de grands arbres exotiques; ils y croyaient ��tre, et sentaient gicler sous leurs dents le jus des fruits savoureux, mangues, ananas et bananes.
?Et pas de mouches!? disait le journal, les mouches ��tant, comme on sait, le trouble-f��te de toutes les parties de campagne en terre de Tarascon.
La Gazette publiait m��me un roman, la Belle Tarasconnaise, une fille de colon enlev��e par le fils d'un roi papoua; et les p��rip��ties de ce drame d'amour ouvraient aux imaginations des jeunes personnes des horizons sans fin. La partie financi��re donnait le cours des denr��es coloniales, les annonces d'��mission des bons de terre et des actions de sucrerie ou de distillerie, ainsi que les noms des souscripteurs et les listes de dons en nature qui continuaient �� affluer, avec l'��ternel ?costume pour un sauvage? de Mlle Tournatoire.
Pour suffire �� de si fr��quents envois, il fallait que la bonne demoiselle e?t install�� chez elle de v��ritables ateliers de confection. Du reste elle n'��tait pas la seule que ce prochain d��m��nagement pour des ?les inconnues et si lointaines e?t jet��e en d'��tranges pr��occupations.
Un jour Tartarin se reposait tranquillement chez lui, dans sa petite maison, ses babouches aux pieds, douillettement envelopp�� de sa robe de chambre, pas inoccup�� cependant, car pr��s de lui, sur sa table, s'��parpillaient des livres et des papiers: les relations de voyages de Bougainville, de Dumont-Durville, des ouvrages sur la colonisation, des manuels de cultures diverses. Au milieu de ses fl��ches empoisonn��es, avec l'ombre du baobab qui tremblotait minusculement sur les stores, il ��tudiait ?sa colonie? et se bourrait la m��moire de renseignements puis��s dans les livres. Entre temps il signait quelque brevet, nommait un grand de premi��re classe ou cr��ait sur papier �� t��te un emploi nouveau pour satisfaire, autant que possible, le d��lire ambitieux de ses concitoyens.
Tandis qu'il travaillait ainsi, ouvrant de yeux et soufflant dans ses joues, on lui annon?ait qu'une dame voil��e de et qui refusait de dire son nom, demandait �� lui parler. Elle n'avait m��me pas voulu entrer, et attendait dans le jardin, o�� il courut pr��cipitamment, en pantoufles et en robe de chambre.
Le jour finissait, le cr��puscule rendait d��j�� les objets indistincts; mais, malgr�� l'ombre tombante et l'��paisse voilette, rien qu'au feu des yeux ardents qui brillaient sous le tulle, Tartarin reconnut sa visiteuse:
?Madame Excourbani��s!
-- Monsieur Tartarin, vous voyez une femme bien malheureuse.?
La voix tremblait, lourde de larmes. Le bonhomme en fut tout ��mu et l'accent paternel:
-- Ma pauvre Evelina, qu'avez-vous?... Dites...?
Tartarin appelait ainsi par leur petit nom
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