plaines, innombrables poissons dans les eaux. Au point de vue commerce et navigation, une rade splendide pouvant contenir toute une Flotte, un port de s?ret�� ferm�� par des jet��es, avec arri��re- port, bassin de radoub, quais, d��barcad��res, phare, s��maphore, grues �� vapeur, rien ne manquerait.
Les travaux ��taient d��j�� commenc��s par des ouvriers chinois et canaques, sous la direction et sur les plans des plus habiles ing��nieurs, des architectes les plus distingu��s. Les colons trouveraient en arrivant des installations confortables, et m��me, par d'ing��nieuses combinaisons, avec 50 francs de plus, les maisons seraient am��nag��es selon les besoins de chacun.
Vous pensez si les imaginations tarasconnaises se mirent �� travailler �� la lecture de ces merveilles. Dans toutes les familles on faisait des plans. L'un r��vait des persiennes vertes, l'autre un joli perron; celui-ci voulait de la brique, celui-l�� du moellon. On dessinait, on coloriait, on ajoutait un d��tail �� un autre; un pigeonnier serait gracieux, une girouette ne ferait pas mal.
?Oh! Papa, une v��randa!
-- Va pour la v��randa, mes enfants!?
Pour ce qu'il en co?tait.
En m��me temps que les braves habitants de Tarascon se passaient ainsi toutes leurs fantaisies d'installations id��ales, les articles du Forum et du Galoubet ��taient reproduits dans tous les journaux du Midi, les villes, les campagnes inond��es de prospectus �� vignettes encadr��s de palmiers, de cocotiers, bananiers, lataniers, toute la faune exotique; une propagande effr��n��e s'��tendait sur la Provence enti��re.
Par les routes poudreuses des banlieues de Tarascon passait au grand trot le cabriolet de Tartarin, conduisant lui-m��me avec le P��re Bataillet assis pr��s de lui sur le devant, serr��s l'un pr��s de l'autre pour faire un rempart de leurs corps au duc de Mons, envelopp�� d'un voile vert et d��vor�� par les moustiques, qui l'assaillaient rageusement de tous c?t��s, en troupes bourdonnantes, alt��r��s du sang de l'homme du Nord, s'acharnant �� le boursoufler de leurs piq?res.
C'est, qu'il en ��tait, du Nord, celui-l��! Pas de gestes, peu de paroles, et un sang-froid!... Il ne s'emballait pas, voyait les choses comme elles sont, pos��ment. On pouvait ��tre tranquille.
Et sur les placettes ombrag��es de platanes, dans les vieux bourgs, les cabarets mang��s de mouches, dans les salles de danse, partout, c'��taient des allocutions, des sermons, des conf��rences.
Le duc de Mons, en termes clairs et concis, d'une simplicit��, de v��rit�� toute nue, exposait les d��lices de Port-Tarascon et les b��n��fices de l'affaire; l'ardente parole du moine pr��chait l'��migration �� la fa?on de Pierre l'Ermite. Tartarin, poudreux de la route comme au sortir d'une bataille, jetait de sa voix sonore quelques phrases ronflantes:?victoire, conqu��te, nouvelle patrie, ?que son geste ��nergique envoyait au loin, par-dessus les t��tes.
D'autres fois se tenaient des r��unions contradictoires, o�� tout se passait par demandes et r��ponses.
?Y a-t-il des b��tes venimeuses?
-- Pas une. Pas un serpent. Pas m��me de moustiques. En fait de b��tes fauves, rien du tout.
-- Mais on dit que l��-bas, dans l'Oc��anie, il y a des anthropophages?
-- Jamais de, la vie! Tous v��g��tariens...
-- Est-ce vrai que les sauvages vont tout nus?
-- ?��, c'est peut-��tre un peu vrai, mais pas tous. D'ailleurs nous les habillerons.?
Articles, conf��rences, tout eut un succ��s fou. Les bons s'enlevaient par cent et par mille, les ��migrants affluaient, et pas seulement de Tarascon, de tout le Midi! Il en venait m��me de Beaucaire. Mais, halte l��! Tarascon les trouvait bien hardis, ces gens de Beaucaire!
Depuis des si��cles, entre les deux cit��s voisines, s��par��es seulement par le Rh?ne, gronde une haine sourde qui menace de ne plus finir.
Si vous en cherchez les motifs, on vous r��pondra des deux c?t��s par des mots qui n'expliquent rien:
?Nous les connaissons, les Tarasconnais...,? disent les gens de Beaucaire, d'un ton myst��rieux.
Et ceux de Tarascon ripostent en clignant leur oeil finaud:
?On sait ce qu'ils valent, messieurs les Beaucairois.?
De fait, d'une ville �� l'autre les communications sont nulles, et le pont qu'on a jet�� entre elles ne sert absolument �� rien. Personne ne le franchit jamais. Par hostilit�� d'abord, ensuite parce que la violence du mistral et la largeur du fleuve �� cet endroit en rendent le passage tr��s dangereux.
Mais si l'on n'acceptait pas de colons de Beaucaire, l'argent de tout le monde ��tait parfaitement accueilli. Les fameux hectares �� 5 francs (rendement de plusieurs mille francs par an) se d��bitaient par fourn��es. On recevait aussi de partout les dons en nature que les fervents de l'oeuvre envoyaient pour les besoins de la colonie. Le Forum publiait les listes, et parmi ces dons se trouvaient les choses les plus extraordinaires:
_Anonyme_: Une bo?te de petites perles blanches.
-- Un lot de num��ros du Forum.
_M. B��coulet_: Quarante-cinq r��silles en chenilles et perles pour les femmes indiennes.
_Mme Dourladoure_: Six mouchoirs et six couteaux pour le presbyt��re.
_Anonyme:_ Une banni��re brod��e pour l'orph��on.
_Anduze, de Maguelonne_: Un flamant empaill��.
_Famille Margue_: Six douzaines de colliers de chiens.
_Anonyme_: Une veste soutach��e.
Une dame pieuse de Marseille: Une chasuble, un orfroi de thurif��raire
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