deux chasseurs s'approchent sans bruit, comme si les
moineaux dormaient. La bande tient mal, et pépiante, va se poser
ailleurs. Les deux chasseurs se redressent; grand frère Félix jette des
insultes. Poil de Carotte, bien que son coeur batte, paraît moins
impatient. Il redoute l'instant où il devra prouver son adresse. S'il
manquait! Chaque retard le soulage. Or, cette fois, les moineaux
semblent l'attendre.
Grand frère Félix: Ne tire pas, tu es trop loin.
Poil de Carotte: Crois-tu?
Grand frère Félix: Pardine! Ça trompe de se baisser. On se figure qu'on
est dessus; on en est très loin.
Et grand frère Félix se démasque afin de montrer qu'il a raison. Les
moineaux, effrayés, repartent.
Mais il en reste un, au bout d'une branche qui plie et le balance. Il
hoche la queue, remue la tête, offre son ventre.
Poil de Carotte: Vraiment, je peux le tirer, celui-là, j'en suis sûr.
Grand frère Félix: Ote-toi voir. Oui, en effet, tu l'as beau. Vite,
prête-moi ta carabine.
Et déjà Poil de Carotte, les mains vides, désarmé, bâille: à sa place,
devant lui, grand frère Félix épaule, vise, tire, et le moineau tombe.
C'est comme un tour d'escamotage. Poil de Carotte tout à l'heure serrait
la carabine sur son coeur. Brusquement, il l'a perdue, et maintenant il la
retrouve, car grand frère Félix vient de la lui rendre, puis, faisant le
chien, court ramasser le moineau et dit:
--Tu n'en finis pas, il faut te dépêcher un peu.
Poil de Carotte: Un peu beaucoup.
Grand frère Félix: Bon, tu boudes!
Poil de Carotte: Dame, veux-tu que je chante?
Grand frère Félix: Mais puisque nous avons le moineau, de quoi te
plains-tu? Imagine-toi que nous pouvions le manquer.
Poil de Carotte: Oh! moi...
Grand frère Félix: Toi ou moi, c'est la même chose. Je l'ai tué
aujourd'hui, tu le tueras demain.
Poil de Carotte: Ah! demain.
Grand frère Félix: Je te le promets.
Poil de Carotte: Je sais? tu me le promets, la veille.
Grand frère Félix: Je te le jure; es-tu content?
Poil de Carotte: Enfin!...Mais si tout de suite nous cherchions un autre
moineau; j'essaierais la carabine.
Grand frère Félix: Non, il est trop tard. Rentrons, pour que maman
fasse cuire celui-ci. Je te le donne. Fourre-le dans ta poche, gros bête, et
laisse passer le bec.
Les deux chasseurs retournent à la maison. Parfois ils rencontrent un
paysan qui les salue et dit:
--Garçons, vous n'avez pas tué le père, au moins?
Poil de Carotte, flatté, oublie sa rancune. Ils arrivent, raccommodés,
triomphants, et M. Lepic, dès qu'il les aperçoit, s'étonne:
--Comment, Poil de Carotte, tu portes encore la carabine! Tu l'as donc
portée tout le temps?
--Presque, dit Poil de Carotte.
La Taupe
Poil de Carotte trouve dans son chemin une taupe, noire comme un
ramonat (raifort). Quand il a bien joué avec, il se décide à la tuer. Il la
lance en l'air plusieurs fois, adroitement, afin qu'elle puisse retomber
sur une pierre.
D'abord, tout va bien et rondement.
Déjà la taupe s'est brisé les pattes, fendu la tête, cassé le dos, et elle
semble n'avoir pas la vie dure.
Puis, stupéfait, Poil de Carotte s'aperçoit qu'elle s'arrête de mourir. Il a
beau la lancer assez haut pour couvrir une maison, jusqu'au ciel, ça
n'avance plus.
--Mâtin de mâtin! elle n'est pas morte, dit-il.
En effet, sur la pierre tachée de sang, la taupe se pétrit; son ventre plein
de graisse tremble comme une gelée, et, par ce tremblement, donne
l'illusion de la vie.
--Mâtin de mâtin! crie Poil de Carotte qui s'acharne, elle n'est pas
encore morte!
Il la ramasse, l'injurie et change de méthode.
Rouge, les larmes aux yeux, il crache sur la taupe et la jette de toutes
ses forces, à bout portant, contre la pierre. Mais le ventre informe
bouge toujours.
Et plus Poil de Carotte enragé tape, moins la taupe lui parait mourir.
La Luzerne
Poil de Carotte et grand frère Félix reviennent de vêpres et se hâtent
d'arriver à la maison, car c'est l'heure du goûter de quatre heures.
Grand frère Félix aura une tartine de beurre ou de confitures, et Poil de
Carotte une tartine de rien parce que il a voulu faire l'homme trop tôt, et
déclaré, devant témoins, qu'il n'est pas gourmand. Il aime les choses
nature, mange d'ordinaire son pain avec affection et, ce soir encore,
marche plus vite que grand frère Félix, afin d'être servi le premier.
Parfois le pain sec semble dur. Alors Poil de Carotte se jette dessus,
comme on attaque un ennemi, l'empoigne, lui donne des coups de dents,
des coups de tête, le morcelle, et fait voler des éclats. Rangés autour de
lui, ses parents le regardent avec curiosité.
Son estomac d'autruche digérait des pierres, un vieux sou taché de
vert-de-gris. En résumé, il ne
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.