F��lix: Blague �� part, veux-tu parier?
Poil de Carotte: Mais si d'abord nous demandions aux voisins chacun une tranche de pain avec du lait caill�� pour ��carter dessus?
Grand fr��re F��lix: Je pr��f��re la luzerne.
Poil de Carotte: Partons!
Bient?t le champ de luzerne d��ploie sous leurs yeux sa verdeur app��tissante. D��s l'entr��e, ils se r��jouissent de tra?ner les souliers, d'��craser les tiges molles, de marquer d'��troits chemins qui inqui��teront longtemps et feront dire:
--Quelle b��te a pass�� par ici?
A travers leurs culottes, une fra?cheur p��n��tre jusqu'aux mollets peu �� peu engourdis.
Ils s'arr��tent au milieu du champ et se laissent tomber �� plat ventre.
--On est bien, dit grand fr��re F��lix.
Le visage chatouill��, ils rient comme autrefois quand ils couchaient ensemble dans le m��me lit et que M. Lepic leur criait de la chambre voisine:
--Dormirez-vous, sales gars?
Ils oublient leur faim et se mettent �� nager en marin, en chien, en grenouille. Les deux t��tes seules ��mergent. Ils coupent de la main, refoulent du pied les petites vagues vertes ais��ment bris��es. Mortes, elles ne se referment plus.
--J'en ai jusqu'au menton, dit grand fr��re F��lix.
--Regarde comme j'avance, dit Poil de Carotte.
Ils doivent se reposer, savourer avec plus de calme leur bonheur.
Accoud��s, ils suivent du regard les galeries souffl��es que creusent les taupes et qui zigzaguent �� fleur de sol, comme �� fleur de peau les veines des vieillards. Tant?t ils les perdent de vue, tant?t elles d��bouchent dans une clairi��re, o�� la cuscute rongeuse, parasite m��chante, chol��ra des bonnes luzernes, ��tend sa barbe de filaments roux. Les taupini��res y forment un minuscule village de huttes dress��es �� la mode indienne.
--Ce n'est pas tout ?a, dit grand fr��re F��lix, mangeons. Je commence. Prends garde de toucher �� ma portion.
Avec son bras comme rayon, il d��crit un arc de cercle.
--J'ai assez du reste, dit Poil de Carotte.
Les deux t��tes disparaissent. Qui les devinerait?
Le vent souffle de douces haleines, retourne les minces feuilles de luzerne, en montre les dessous pales, et le champ tout entier est parcouru de frissons.
Grand fr��re F��lix arraches des brass��es de fourrage, s'en enveloppe la t��te, feint de se bourrer, imite le bruit de machoires d'un veau inexp��riment�� qui se gonfle. Et tandis qu'il fait semblant de d��vorer tout, les racines m��mes, car il conna?t la vie, Poil de Carotte le prend au s��rieux, et, plus d��licat, ne choisit que les belles feuilles.
Du bout de son nez il les courbe, les am��ne �� sa bouche et les mache pos��ment.
Pourquoi se presser? La table n'est pas lou��e. La foire n'est pas sur le pont.
Et les dents crissantes, la langue am��re, le coeur soulev��, il avale, se r��gale.
La Timbale
Poil de Carotte ne boira plus �� table. Il perd l'habitude de boire, en quelques jours, avec une facilit�� qui surprend sa famille et ses amis. D'abord, il dit un matin �� madame Lepic qui lui verse du vin comme d'ordinaire:
--Merci, maman, je n'ai pas soif.
Au repas du soir, il dit encore:
--Merci, maman, je n'ai pas soif.
--Tu deviens ��conomique, dit madame Lepic. Tant mieux pour les autres.
Ainsi il reste toute cette premi��re journ��e sans boire, parce que la temp��rature est douce et que simplement il n'a pas soif.
Le lendemain, madame Lepic, qui met le couvert, lui demande:
--Boiras-tu aujourd'hui, Poil de Carotte?
--Ma foi, dit-il, je n'en sais rien.
--Comme il te plaira, dit madame Lepic; si tu veux ta timbale, tu iras la chercher dans le placard.
Il ne va pas la chercher. Est-ce caprice, oubli ou peur de se servir soi-m��me?
On s'��tonne d��j��:
--Tu te perfectionnes, dit madame Lepic; te voil�� une facult�� de plus.
--Une rare, dit M. Lepic. Elle te servira surtout plus tard, si tu te trouves seul, ��gar�� dans un d��sert, sans chameau.
Grand fr��re F��lix et soeur Ernestine parient:
Soeur Ernestine: Il restera une semaine sans boire.
Grand fr��re F��lix: Allons donc, s'il tient trois jours, jusqu'�� dimanche, ce sera beau.
--Mais, dit Poil de Carotte qui sourit finement, je ne boirai plus jamais, si je n'ai jamais soif. Voyez les lapins et les cochons d'Inde, leur trouvez-vous du m��rite?
-Un cochon d'Inde et toi, ?a fait deux, dit grand fr��re F��lix.
Poil de Carotte, piqu��, leur montrera ce dont il est capable. Madame Lepic continue d'oublier sa timbale. Il se d��fend de la r��clamer. Il accepte avec une ��gale indiff��rence les ironiques compliments et les t��moignages d'admiration sinc��re.
--Il est malade ou fou, disent les uns.
Les autres disent:
-Il boit en cachette.
Mais tout nouveau, tout beau. Le nombre de fois que Poil de Carotte tire la langue, pour prouver qu'elle n'est point s��che, diminue peu �� peu.
Parents et voisins se blasent. Seuls quelques ��trangers l��vent encore les bras au ciel, quand on les met au courant:
--Vous exag��rez: nul n'��chappe aux exigences de la nature.
Le m��decin consult�� d��clare que le cas lui semble bizarre, mais qu'en somme rien n'est impossible.
Et Poil de Carotte surpris, qui craignait de souffrir, reconna?t qu'avec un ent��tement r��gulier, on fait ce qu'on veut.
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