Poil De Carotte | Page 5

Jules Renard
tranches de jaune sucr��, tout ce qui peut fondre encore, et il passe le vert aux lapins en rond sur leur derri��re.
La porte du petit toit est ferm��e. Le soleil des siestes enfile les trous des tuiles et trempe le bout de ses rayons dans l'ombre fra?che.

La Pioche
Grand fr��re F��lix et Poil de Carotte travaillent c?te �� c?te. Chacun a sa pioche. Celle du grand fr��re F��lix a ��t�� faite sur mesure, chez le mar��chal-ferrant, avec du fer. Poil de Carotte a fait la sienne tout seul, avec du bois. Ils jardinent, abattent de la besogne et rivalisent d'ardeur. Soudain, au moment o�� il s'y attend le moins (c'est toujours �� ce moment pr��cis que les malheurs arrivent), Poil de Carotte re?oit un coup de pioche en plein front.
Quelques instants apr��s, il faut transporter, coucher avec pr��caution, sur le lit, grand fr��re F��lix qui vient de se trouver mal �� la vue du sang de son petit fr��re. Toute la famille est l��, debout, sur la pointe du pied, et soupire appr��hensive:
--O�� sont les sels?
--Un peu d'eau bien fra?che, s'il vous pla?t, pour mouiller les tempes.
Poil de Carotte monte sur une chaise afin de voir par-dessus les ��paules, entre les t��tes. Il a le front band�� d'un linge d��j�� rouge, o�� le sang suinte et s'��carte.
M. Lepic lui a dit:
--Tu t'es joliment fait moucher!
Et sa soeur Ernestine qui a pans�� la blessure:
--C'est entr�� comme dans du beurre.
Il n'a pas cri��, car on lui a fait observer que cela ne sert �� rien.
Mais voici que grand fr��re F��lix ouvre un oeil, puis l'autre. Il en est quitte pour la peur, et comme son teint graduellement se colore, l'inqui��tude, l'effroi se retirent des coeurs.
--Toujours le m��me, donc! dit madame Lepic �� Poil de Carotte; tu ne pouvais pas faire attention, petit imb��cile!

La Carabine
M. Lepic dit �� ses fils:
--Vous avez assez d'une carabine pour deux. Des fr��res qui s'aiment mettent tout en commun.
--Oui, papa, r��pond grand fr��re F��lix, nous nous partagerons la carabine. Et m��me il suffira que Poil de Carotte me la pr��te de temps en temps.
Poil de Carotte ne dit ni oui ni non, il se m��fie.
M. Lepic tire du fourreau vert la carabine et demande:
--Lequel des deux la portera le premier? Il semble que ce doit ��tre l'a?n��.
Grand fr��re F��lix: Je c��de l'honneur �� Poil de Carotte. Qu'il commence!
Monsieur Lepic: F��lix, tu te conduis gentiment, ce matin. Je m'en souviendrai.
M. Lepic installe la carabine sur l'��paule de Poil de Carotte.
Monsieur Lepic: Allez, mes enfants, amusez-vous sans vous disputer.
Poil de Carotte: Emm��ne-t-on le chien?
Monsieur Lepic: Inutile. Vous ferez le chien chacun �� votre tour. D'ailleurs, des chasseurs comme vous ne blessent pas: ils tuent raide.
Poil de Carotte et grand fr��re F��lix s'��loignent. Leur costume simple est celui de tous les jours. Ils regrettent de n'avoir pas de bottes, mais M. Lepic leur d��clare souvent que le vrai chasseur les m��prise. La culotte de vrai chasseur tra?ne sur les talons. Il ne retrousse jamais. Il marche ainsi dans la patouille, les terres labour��es, et des bottes se forment bient?t, montent jusqu'aux genoux, solides, naturelles, que la servante a la consigne de respecter.
--Je pense que tu ne reviendras pas bredouille, dit grand fr��re F��lix.
--J'ai bon espoir, dit Poil de Carotte.
Il ��prouve une d��mangeaison au d��faut de l'��paule et se refuse d'y coller la crosse de son arme �� feu.
--Hein! dit grand fr��re F��lix, je te la laisse porter tout ton so?l!
--Tu es mon fr��re, dit Poil de Carotte.
Quand une bande de moineaux s'envole, il s'arr��te et fait signe a grand fr��re F��lix de ne plus bouger. La bande passe d'une haie �� l'autre. Le dos vo?t��, les deux chasseurs s'approchent sans bruit, comme si les moineaux dormaient. La bande tient mal, et p��piante, va se poser ailleurs. Les deux chasseurs se redressent; grand fr��re F��lix jette des insultes. Poil de Carotte, bien que son coeur batte, para?t moins impatient. Il redoute l'instant o�� il devra prouver son adresse. S'il manquait! Chaque retard le soulage. Or, cette fois, les moineaux semblent l'attendre.
Grand fr��re F��lix: Ne tire pas, tu es trop loin.
Poil de Carotte: Crois-tu?
Grand fr��re F��lix: Pardine! ?a trompe de se baisser. On se figure qu'on est dessus; on en est tr��s loin.
Et grand fr��re F��lix se d��masque afin de montrer qu'il a raison. Les moineaux, effray��s, repartent.
Mais il en reste un, au bout d'une branche qui plie et le balance. Il hoche la queue, remue la t��te, offre son ventre.
Poil de Carotte: Vraiment, je peux le tirer, celui-l��, j'en suis s?r.
Grand fr��re F��lix: Ote-toi voir. Oui, en effet, tu l'as beau. Vite, pr��te-moi ta carabine.
Et d��j�� Poil de Carotte, les mains vides, d��sarm��, baille: �� sa place, devant lui, grand fr��re F��lix ��paule, vise, tire, et le moineau tombe.
C'est comme un tour d'escamotage. Poil de Carotte tout �� l'heure serrait la carabine sur
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 43
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.