Poignet-dacier | Page 4

Émile Chevalier
avec les Esquimaux et tous
les Indiens du Nord en général, mais principalement, je crois, pour
devenir l'entrepôt des richesses que la Compagnie espérait recueillir
dans les mines d'une rivière fameuse qui prit, à cause de ses
productions minérales, le nom de rivière de la Mine de Cuivre
(Copper-Mine-River).
On m'a accusé d'avoir, dans mes précédents ouvrages, montré pour la
Compagnie de la baie d'Hudson une malveillance outrée. J'avoue
volontiers qu'elle ne se comporte pas et ne s'est jamais comportée vis à
vis des aborigènes du Nord-Ouest américain comme les Espagnols se
comportèrent vis à vis des Mexicains; je me plais à reconnaître qu'elle
ne les égorgea point par millions, au nom d'un Dieu de paix, et qu'on ne
saurait trouver parmi ses honorables membres autant de cruelle rapacité
que chez un Cortez, un Pizarre ou un Soto [5]: mais je pourrais prouver
par cent exemples qu'elle employa une foule de moyens hautement
criminels pour arracher aux malheureux Peaux-Rouges les objets de sa
convoitise. Afin de n'en citer qu'un, je rapporterai cette phrase des
Ordres et Instructions donnés à Samuel Hearne, par la Compagnie de la
baie d'Hudson, lors de l'expédition de ce capitaine à la rivière de la
Mine de Cuivre, le 6 novembre 1769:
[Note 5: «Autrefois, les îles de Cuba et des Lukayes avaient plus de six
cent mille habitants. Elles n'en ont pas présentement vingt.
Bartholomeo de Las Gazas, digne évêque de Chiapa, nous apprend que
dans l'île Hispaniola, appelée aujourd'hui Saint-Domingue, de trois
millions d'Indiens il n'en restait plus de son temps. Ils en ont tué, dit-il,
près de QUINZE millions en terre ferme. «Ils ne tiennent aucun compte
de leurs âmes, qui sont immortelles comme les nôtres, non plus que si
ces pauvres Indiens n'étaient que des bêtes.»

«Un Espagnol, interrogé comment il instruisait ces pauvres Indiens,
répondit: Que los dava al diablo, loque bastave per ello C'est-à-dire: Je
les donne au diable, c'est assez pour eux. Quand ils les pendaient par
douzaines, ils disaient que c'était en l'honneur de Notre-Seigneur et des
douze Apôtres..... «Nous avons vu, dit l'évêque des Indes Occidentales,
dix grands royaumes plus grands que n'est l'Espagne, et beaucoup plus
peuplés, être réduits en solitude par les cruautés et l'horrible boucherie
qu'ils y ont exercées.»--Nouveaux Voyages dans l'Amérique
septentrionale, par M. Bossu An. MDCCLXXVII.]
«2º Nous vous avons fait pourvoir, vous et vos compagnons, des objets
que nous avons jugé vous être nécessaires; et il y a été ajouté par notre
ordre différentes marchandises pour être distribuées en forme de
présents seulement aux Indiens étrangers que vous rencontrerez, après
avoir fumé le calumet de paix avec leurs chefs, à l'effet de vous
concilier leur amitié. Vous ne manquerez pas de les exciter à porter la
guerre chez leurs voisins, AFIN DE SE PROCURER DES
FOURRURES ET AUTRES ARTICLES DE COMMERCE, en les
assurant qu'on leur en paiera un très-bon prix à la factorerie de la
Compagnie [6].»
[Note 6: Voyage de Samuel Hearne, du Fort du Prince-de-Galles, dans
la baie d'Hudson, à l'Océan Nord.--Introduction.]
Tout commentaire pâlirait devant la sinistre éloquence de ces
Instructions.
Je poursuis donc mon sujet.
Le fort du Prince-de-Galles est un des postes les plus septentrionaux
que possède la Compagnie de la baie d'Hudson sur ses immenses
territoires. On y fait principalement la traite des pelleteries provenant
des régions polaires.
Cette importante factorerie est parfaitement défendue par des bastions
et des courtines en pierre de taille, garnis de lourdes couleuvrines.
Quelques canons d'un fort calibre ont même été braqués aux angles.

Dans l'enceinte de la forteresse s'élève la maison du gouverneur, les
bâtiments affectés au commis, les magasins pour les fourrures et les
articles d'échange, la poudrière, les ateliers de construction, et le vaste
bâtiment destiné aux trappeurs, voyageurs, coureurs des bois,
aventuriers de toutes origines, je pourrais dire de toutes couleurs, qui,
chaque jour, y viennent chercher un abri.
La plupart sont des gens au service de la Compagnie; mais bon nombre
n'ont de commun avec elle que l'hospitalité temporaire qu'elle leur
accorde.
Autour du fort, on voit des tentes dressées par les Indiens descendus du
nord pour troquer, contre des armes, des ustensiles de ménage, des
outils, des colifichets et trop souvent de l'eau-de-feu,--le lait des blancs,
comme ils disent fréquemment,--les produits de leur chasse et de leur
pêche.
Des parcs, protégés par des palissades, se montrent aussi ça et là, et, au
bord de la mer, un pont en bois a été jeté sur une des bouches de la
rivière Churchill.
Du reste, partout où porte l'oeil, la plaine est nue, triste, couverte de
rares bruyères, maigres mélèzes, genévriers on saules nains, quand la
neige ne la revêt pas d'un blanc suaire. Jadis des forêts magnifiques
l'ombrageaient mais ces forêts on les a abattues, sans mesure, sans
préoccupation de l'avenir, et aujourd'hui les gens du
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