d? être, et réformée par la conscience générale, comme on voit, dans nos théatres de mélodrame, des spectateurs na?fs, emportés par la situation, invectiver le tyran et prendre la défense de l'innocence.
Un exemple remarquable de cette tendance transformatrice de l'imagination populaire, et en même temps la conception la plus nettement dessinée qu'ait produite la poésie serbe, c'est le personnage de Marko Kralievitch, un de ces héros semi-réels, semi-légendaires, qui se rencontrent au début de presque toutes les littératures, ou plut?t à l'origine des peuples: il est de la famille des Roland, des Cid, des Roustem (et aussi des Gargantua); figures réelles, mais que le laps du temps a transformées, agrandies, en faisant d'elles la peinture vivante d'une époque ou la personnification d'une nation tout entière. Devant l'histoire, c'est un tra?tre qui a attiré la ruine sur son pays en appelant les Turcs pour satisfaire son ambition personnelle. Chose étrange! cette action s'est effacée de la mémoire du peuple, qui, une fois asservi, a mis en lui sa prédilection, parce qu'il faisait quelquefois payer cher à l'ennemi commun, aux Turcs, les services qu'il leur rendait comme vassal, et paraissait ainsi, autant que les circonstances le permettaient, le vengeur de sa nation.
Cette haine de race et de religion contre les Osmanlis n'est pas la seule qui anime les chants serbes; il en est une autre qui perce par endroits, et dont l'explosion a eu son importance dans les dernières années. Bien que le héros favori de la Hongrie, Jean Hunyadi, sous le nom de Jean de Sibigne, et son apocryphe neveu, le ban Sekula, jouent un certain r?le dans les légendes et poésies serbes, le Magyar catholique ou protestant n'y para?t guère moins détesté que le Turc infidèle, et il est de certaines expressions qui font pressentir les horreurs commises dans les guerres de 1848 et 1849[9].
Au sein d'un état social tel que celui des Serbes, dans la poésie d'un peuple dont la vie est une sorte de communion intime et perpétuelle avec la nature, ce qui peut surprendre, c'est l'absence de l'élément mythique. Ce fait doit être attribué au génie pratique et positif, sans profondeur, et ennemi des spéculations abstraites, de la race slave[10]: contraste frappant avec la race teutonique, dont une fraction a laissé, dans les traditions cosmogoniques et héro?ques des Eddas Scandinaves, un monument de son énergie morale et de ses aptitudes contemplatives. L'existence de po?tes-chanteurs, parmi les Slaves pa?ens, est attestée par les écrivains byzantins du VIe siècle[11]; mais, selon toute apparence, leur tache était, à l'opposé des druides et des scaldes, de célébrer les exploits guerriers des chefs. Autrement, le christianisme a été introduit si tard et sous une forme si élémentaire parmi les Slaves orientaux, la religion, en prenant pour idiome liturgique la langue nationale ou à peu près, les a tellement _préservés_ des idées et d'une culture étrangères, qu'on devrait, en ce qui concerne les Serbes, trouver les débris nombreux d'une poésie mythique. Or, il n'existe rien de ce genre, car on ne saurait donner ce nom à des traces de la croyance orientale aux dragons et aux serpents, qui forme la base de quelques légendes et surtout de contes en prose[12]: tout vestige même de l'ancien culte a disparu, à l'exception peut-être des refrains inintelligibles des chansons dites Kralyitchke_ et Dodolské_[13], lesquels paraissent renfermer des invocations à des divinités pa?ennes; et, chose singulière, la poésie n'a pas admis non plus les superstitions populaires encore aujourd'hui les plus enracinées, telles que la croyance aux vampires (vampir_, _voukodlak) et à la sorcellerie. A cela, les Vilas seules font une exception remarquable et heureuse, comme agent surnaturel et vraiment poétique. On pourrait même, à la rigueur, voir en elles un mythe: êtres aux formes indécises que l'imagination n'a pas même déterminées, rarement aper?ues, mais faisant souvent retentir leur voix prophétique ou mena?ante, redoutables pour l'homme qui va les troubler dans leur solitude, douées d'une puissance bienfaisante par la connaissance des simples, elles sont comme le symbole des forces funestes ou salutaires de la nature, et, dans le silence des forêts, dans la profondeur des montagnes, comme un écho de sa voix mystérieuse. Quant à ces exemples de la parole prêtée aux animaux, à ces colloques qui s'établissent entre les hommes et les astres, il n'y faut voir qu'un effet de la tendance de l'esprit humain à revêtir de ses propres qualités les choses au milieu desquelles il passe son existence, et envers qui la familiarité engendre l'affection.
L'age des pesmas n'est pas une question facile à résoudre. En présence de l'uniformité de style et de langue qui les caractérise, on n'a pour guide, afin de constater leur ancienneté relative, qu'un reste de couleur plus antique, plus barbare, ou la date des événements qu'elles célèbrent. M. Vouk pense que ce qu'elles offrent de plus ancien sont ces refrains obscurs
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