Poésies | Page 5

Isidore Ducasse
qui broie du noir de la première à la dernière
page, surtout le naufrage final, me faisait grincer des dents. Je me
roulais sur le tapis et donnais des coups de pied à mon cheval en bois.
La description de la douleur est un contre-sens. Il faut faire voir tout en
beau. Si cette histoire était racontée dans une simple biographie, je ne
l'attaquerais point. Elle change tout de suite de caractère. Le malheur
devient auguste par la volonté impénétrable de Dieu qui le créa. Mais
l'homme ne doit pas créer le malheur dans ses livres. C'est ne vouloir, à
toutes forces, considérer qu'un seul côté des choses. O hurleurs
maniaques que vous êtes!
Ne reniez pas l'immortalité de l'âme, la sagesse de Dieu, la grandeur de
la vie, l'ordre qui se manifeste dans l'univers, la beauté corporelle,
l'amour de la famille, le mariage, les institutions sociales. Laissez de
côté les écrivassiers funestes: Sand, Balzac, Alexandre Dumas, Musset,
Du Terrail, Féval, Flaubert, Baudelaire, Leconte et la _Grève des
Forgerons_!
Ne transmettez à ceux qui vous lisent que l'expérience qui se dégage de
la douleur, et qui n'est plus la douleur elle-même. Ne pleurez pas en
public.
Il faut savoir arracher des beautés littéraires jusque dans le sein de la
mort; mais ces beautés n'appartiendront pas à la mort. La mort n'est ici
que la cause occasionnelle. Ce n'est pas le moyen, c'est le but, qui n'est
pas elle.
Les vérités immuables et nécessaires, qui font la gloire des nations, et
que le doute s'efforce envahi d'ébranler, ont commencé depuis les âges.
Ce sont des choses auxquelles on ne devrait pas toucher. Ceux qui
veulent faire de l'anarchie en littérature, sous prétexte de nouveau,
tombent dans le contre-sens. On n'ose pas attaquer Dieu; on attaque
l'immortalité de l'âme. Mais, l'immortalité de l'âme, elle aussi, est
vieille comme les assises du monde. Quelle autre croyance la

remplacera, si elle doit être remplacée? Ce ne sera pas toujours une
négation.
Si l'on se rappelle la vérité d'où découlent toutes les autres, la bonté
absolue de Dieu et son ignorance absolue du mal, les sophismes
s'effondreront d'eux-mêmes. S'effondrera, dans un temps pareil, la
littérature peu poétiques qui s'est appuyée sur eux. Toute littérature qui
discute les axiomes éternels est condamnée à ne vivre que d'elle-même.
Elle est injuste. Elle se dévore le foie. Les _norissima Verba_ font
sourire superbement les gosses sans mouchoir de la quatrième. Nous
n'avons pas le droit d'interroger le Créateur sur quoi que ce soit.
Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela
pour vous.
Si on corrigeait les sophismes dans le sens des vérités correspondantes
à ces sophismes, ce n'est que la correction qui serait vraie; tandis que la
pièce ainsi remaniée, aurait le droit de ne plus s'intituler fausse. Le reste
serait hors du vrai, avec trace de faux, par conséquent nul, et considéré,
forcément, comme non avenu.
La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de
contorsions contingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie
impersonnelle, brusquement interrompu depuis la naissance du
philosophe manqué de Ferney, depuis l'avortement du grand Voltaire.
Il parait beau, sublime, sous prétexte d'humilité ou d'orgueil, de
discuter les causes finales, d'en fausser les conséquences stables et
connues. Détrompez-vous, parce qu'il n'y a rien de plus bête! Renouons
la chaîne régulière avec les temps passés; la poésie est la géométrie par
excellence. Depuis Racine, la poésie n'a pas progressé d'un millimètre.
Elle a reculé. Grâce à qui? aux Grandes-Têtes-Molles de notre époque.
Grâce aux femmelettes, Chateaubriand, le MohicanM élancolique;
Sénancourt, l'Homme-en-Jupon; Jean-Jacques Rousseau, le
Socialiste-Grincheur; Anne Radcliffe, le Spectre-Toqué; Edgar Poë, le
Mameluck-des-Rèves-d'Alcool; Mathurin, le Compère-des-Ténèbres;
Georges Sand, l'Hermaphrodite-Circoncis; Théophile Gautier,
l'Incomparable-Epicier; Leconte, le Captif-du-Diable; Goethe, le

Suicidé-pour-Pleurer; Sainte-Beuve, le Suicidé-pour-Rire; Lamartine,
la Cigogne-Larmoyante; Lermontoff, le Tigre-qui-Rugit; Victor Hugo,
le Funèbre-Échalas-Vert; Misçkiéwicz, l'Imitateur-de-Satan; Musset, le
Gandin-Sans-Chemise-Intellectuelle; et Byron,

l'Hippopotame-des-Jungles-Infernales.
Le doute a existé de tout temps en minorité. Dans ce siècle, il est en
majorité. Nous respirons la violation du devoir par les pores. Cela ne
s'est vu qu'une fois; cela ne se reverra plus.
Les notions de la simple raison sont tellement obscurcies à l'heure qu'il
est, que, la première chose que font les professeurs de quatrième, quand
ils apprennent à faire des vers latins à leurs élèves, jeunes poètes dont
la lèvre est humectée du lait maternel, c'est de leur dévoiler par la
pratique le nom d'Alfred de Musset. Je vous demande un peu, beaucoup!
Les professeurs de troisième, donc, donnent, dans leurs classes à
traduire, en vers grecs, deux sanglants épisodes. Le premier, c'est la
repoussante comparaison du pélican. Le deuxième, sera l'épouvantable
catastrophe arrivée à un laboureur. A quoi bon regarder le mal? N'est-il
pas en minorité? Pourquoi pencher la tête d'un lycéen sur des questions
qui, faute de n'avoir pas été comprises,
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