Poésies | Page 4

Isidore Ducasse
meuble de rebut, je t'ai chassé de ma demeure, avec un
fouet aux cordes de scorpions. Si tu souhaites que je sois persuadé que
tu as oublié, en revenant chez moi, les chagrins que, sous l'indice des
repentirs, je t'ai causés autrefois, crebleu, ramène alors avec toi, cortège
sublime,--soutenez-moi, je m'évanouis!--les vertus offensées, et leurs
impérissables redressements.
Je constate, avec amertume, qu'il ne reste plus que quelques gouttes de
sang dans les artères de nos époques phthisiques. Depuis les

pleurnicheries odieuses et spéciales, brevetées sans garantie d'un point
de repère, des Jean-Jacques Rousseau, des Chateaubriand et des
nourrices en pantalon aux poupons Obermann, à travers les autres
poètes qui se sont vautrés dans le limon impur, jusqu'au songe de
Jean-Paul, le suicide de Dolorès de Veintemilla, le Corbeau d'Allan, la
Comédie Infernale du Polonais, les yeux sanguinaires de Zorilla, et
l'immortel cancer, Une Charogne, que peignit autrefois, avec amour,
l'amant morbide de la Vénus hottentote, les douleurs invraisemblables
que ce siècle s'est créées à lui-même, dans leur voulu monotone et
dégoûtant, l'ont rendu poitrinaire. Larves absorbantes dans leurs
engourdissements insupportables!
Allez, la musique.
Oui, bonnes gens, c'est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle,
rougie au feu, avec un peu de sucre jaune, le canard du doute, aux
lèvres de vermouth, qui, répandant, dans une lutte mélancolique entre le
bien et le mal, des larmes qui ne viennent pas du coeur, sans machine
pneumatique, fait, partout, le vide universel. C'est ce que vous avez de
mieux à faire.
Le désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories,
conduit imperturbablement le littérateur à l'abrogation en masse des
lois divines et sociales, et à la méchanceté théorique et pratique. En un
mot, fait prédominer le derrière humain dans les raisonnements. Allez,
et passez-moi le mot! L'on devient méchant, je le répète, et les yeux
prennent la teinte des condamnés à mort. Je ne retirerai pas ce que
j'avance. Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de
quatorze ans.
La vraie douleur est incompatible avec l'espoir. Pour si grande que soit
cette douleur, l'espoir, de cent coudées, s'élève plus haut encore. Donc,
laissez-moi tranquille avec les chercheurs. A bas, les pattes, à bas,
chiennes cocasses, faiseurs d'embarras, poseurs! Ce qui souffre, ce qui
dissèque les mystères qui nous entourent, n'espère pas. La poésie qui
discute les vérités nécessaires est moins belle que celle qui ne les
discute pas. Indécisions à outrance, talent mal employé, perte du temps:
rien ne sera plus facile à vérifier.

Chanter Adamastor, Jocelyn, Rocambole, c'est puéril. Ce n'est même
que parce que l'auteur espère que le lecteur sous-entend qu'il
pardonnera à ses héros fripons, qu'il se trahit lui-même et s'appuie sur
le bien pour faire passer la description du mal. C'est au nom de ces
mêmes vertus que Frank a méconnues, que nous voulons bien le
supporter, ô saltimbanques des malaises incurables.
Ne faites pas comme ces explorateurs sans pudeur, magnifiques, à leurs
yeux, de mélancolie, qui trouvent des choses inconnues dans leur esprit
et dans leur corps!
La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute; le
doute est le commencement du désespoir; le désespoir est le
commencement cruel des différents degrés de la méchanceté. Pour vous
en convaincre, lisez la _Confession d'un enfant du siècle._ La pente est
fatale, une fois qu'on s'y engage. Il est certain qu'on arrive à la
méchanceté. Méfiez-vous de la pente. Extirpez le mal par la racine. Ne
flattez pas le culte d'adjectifs tels que indescriptible, inénarrable,
rutilant, incomparable, colossal, qui mentent sans vergogne aux
substantifs qu'ils défigurent: ils sont poursuivis par la lubricité.
Les intelligences de deuxième ordre, comme Alfred de Musset, peuvent
pousser rétivement une ou deux de leurs facultés beaucoup plus loin
que les facultés correspondantes des intelligences de premier ordre,
Lamartine, Hugo. Nous sommes en présence du déraillement d'une
locomotive surmenée. C'est un cauchemar qui tient la plume. Apprenez
que l'âme se compose d'une vingtaine de facultés. Parlez-moi de ces
mendiants qui ont un chapeau grandiose, avec des haillons sordides!
Voici un moyen de constater l'infériorité de Musset sous les deux
poètes. Lisez, devant une jeune fille, Rolla_ ou _les Nuits, les Fous de
Cobb, sinon les portraits de Gwynplaine et de Dea, ou le Récit de
Théramène d'Euripide, traduit en vers français par Racine le père. Elle
tressaille, fronce les sourcils, lève et abaisse les mains, sans but
déterminé, comme un homme qui se noie; les yeux jetteront des lueurs
verdàtres. Lisez-lui la _Prière pour-tous,_ de Victor Hugo. Les effets
sont diamétralement opposés. Le genre d'électricité n'est plus le même.
Elle rit aux éclats, elle en demande davantage.

De Hugo, il ne restera que les poésies sur les enfants, où se trouve
beaucoup de mauvais.
Paul et Virginie choque nos aspirations les plus profondes au bonheur.
Autrefois, cet épisode
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