sa touchante Jeune Captive (p. 120), inspirée par une de ses compagnes d'infortune, la duchesse de Fleury, née de Coigny.
Nous approchons maintenant du triste dénouement. Les prisons regorgeant de monde, le Comité de s?reté générale découvre--ou invente--la 'Conspiration des prisons,' vaste complot d'évasion. C'était l'occasion pour la justice d'être expéditive. André Chénier comparut le 7 thermidor devant le tribunal révolutionnaire avec vingt-six autres victimes, dont Roucher. L'acte d'accusation--tellement était grande l'incurie de cette soi-disant justice--reprochait à André des faits concernant son frère Sauveur, également arrêté et interné dans une autre prison! Quand on se fut aper?u de cette confusion, on ne prit même pas la peine de rayer de l'acte d'accusation d'André ce qui s'appliquait à Sauveur. André Chénier fut condamné et exécuté le soir même, à six heures, sur la place du Tr?ne[1]--et non sur la place de la Révolution comme A. de Vigny le dit par erreur dans son roman de Stello. Sa mort précéda de vingt-quatre heures celle des frères Trudaine. Deux jours plus tard Robespierre tombait et les exécutions cessaient.
[Footnote 1: Pendant la Terreur cette place prit le nom de place du Tr?ne-Renversé, et elle fut le théatre de nombreuses exécutions. On l'appelle actuellement la place de la Nation.]
II [A]
L'oeuvre d'André Chénier resta inconnue jusqu'en 1819, à l'exclusion de quelques poèmes ou fragments de poèmes publiés successivement en 1794[2], 1801[3], 1802[4], 1814-16[5] et 1816[6].
En 1819 enfin, H. de Latouche[7], à qui Daunou, qui les tenait de Marie-Joseph Chénier, mort en 1811, avait confié une partie des manuscrits, donna la première édition, forcément incomplète, infidèle même, puisque l'éditeur, qui était lui-même un poète, faisait ?à et là des retouches, discrètes d'ailleurs, ainsi que des suppressions et des coupures.
La critique de 1819 fut unanime à reconna?tre en Chénier un poète. Elle fut unanime aussi à reprocher à ce poète ses innovations en langue et en versification.
Chénier a, selon Népomucène Lemercier[8], des 'incorrections sans nombre.' Il supprime les articles et les liaisons grammaticales. Il 'dénature le sens des mots.' Il embarrasse sa phrase de 'trop d'incises' et 'tourmente ses périodes.'
[Footnote A: The notes constitute a Bibliography in order of dates, of which only those with reference numbers relate to the text of the Introduction.]
[Footnote 2: LA JEUNE CAPTIVE, publiée dans la _Décade philosophique_ du 20 niv?se, an iii (décembre 1794).]
[Footnote 3: LA JEUNE TARENTINE, publiée par le Mercure de France du 1er germinal, an ix.]
[Footnote 4: ACCOURS, JEUNE CHROMIS... et SOUVENT LAS D'êTRE SEUL... dans le _Génie du Christianisme_ de Chateaubriand, note 15 des _éclaircissements_, 1802.]
[Footnote 5: FRAGMENTS DE L'AVEUGLE dans une note des _élégies_ de Millevoye, 1814-16.]
[Footnote 6: FRAGMENTS DU MENDIANT dans _Mélanges littéraires, composés de morceaux inédits de Diderot, Caylus, Thomas, Rivarol_, ANDRé CHéNIER, par Fayolle, Paris, Pouplin, 1816.]
[Footnote 7: OEUVRES POéTIQUES D'ANDRé CHéNIER, publiées par H. de Latouche. Paris, Beaudoin frères, Foulon et Cie, 1819. (A la fin du volume Latouche donne MèLANGES DE PROSE, articles publiés du vivant de l'auteur, et quelques morceaux et fragments posthumes.) (Réimpressions en 1820 et 1822.)]
[Footnote 8: _Revue encyclopédique_, octobre 1819, compte rendu par Népomucène Lemercier.]
Il fait une 'imitation outrée des formules et des tours antiques.' Il multiplie les césures et rompt ses vers par de brusques enjambements. Et toute cette 'témérité systématique' vient de ce qu'il est 'agité du désir d'innover partout.' Il a d'ailleurs 'des beautés éparses mais éclatantes,' des 'expressions trouvées,' une 'tendance à traduire les idées en figures,' enfin un 'abandon, un naturel exquis.' Détail caractéristique, Lemercier admire la périphrase:
Dans les douze palais où résident les mois,
comme 'une élégante circonlocution.'
Incorrections de style et de construction, déplacement des césures, voilà les défauts que déplore aussi Charles Loyson[9]. Son admiration va aux élégies et aux idylles. C'est là seulement que l'on trouve ce que le talent d'André 'a de beau, d'heureux et d'original,' c'est là seulement qu'il se montre 'vrai, naturel et touchant.'
[Footnote 9: _Lycée Fran?ais_, tome ii, 1819, quatre articles par Charles Loyson.]
Les 'imperfections de style et la versification brisée' frappent également Raynouard[10]. André Chénier 'décline les participes présents.' Il 'donne aux adjectifs des régimes inusités.' Il a des métaphores incohérentes. La césure de son vers est brisée 'd'une manière qui choque l'oreille et le go?t.' De ces coupes pourtant il a parfois tiré 'de très saisissants effets,' mais il en fait une habitude presque constante. Raynouard admire fort le Jeune Malade et reconna?t que Chénier, qui 'a visé à l'originalité' dans le choix des sujets, dans le style, dans la versification, a déployé 'une véritable originalité dans l'idylle.'
[Footnote 10: Journal des Savants, article sur les oeuvres complètes d'André Chénier par Raynouard, 1819.]
Style incorrect, parfois barbare, idées vagues et incohérentes, manie de mutiler la phrase et de la tailler à la grecque, coupes bizarres, prononce Victor Hugo[11]. 'Chacun de ces défauts du poète, ajoute-t-il, est peut-être le germe d'un perfectionnement pour la poésie.' Victor Hugo voit dans
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