Pierre et Jean | Page 7

Guy de Maupassant
trente ans �� favoris noirs coup��s comme ceux des magistrats, moustaches et menton ras��s, r��pondit:
--Oh! pas grand'chose, trois ou quatre.
Le p��re se tourna vers le cadet:
--Et toi, Jean?
Jean, un grand gar?on blond, tr��s barbu, beaucoup plus jeune que son fr��re, sourit et murmura:
--A peu pr��s comme Pierre, quatre ou cinq.
Ils faisaient, chaque fois, le m��me mensonge qui ravissait le p��re Roland.
Il avait enroul�� son fil au tolet d'un aviron, et croisant ses bras il annon?a:
--Je n'essayerai plus jamais de p��cher l'apr��s-midi. Une fois dix heures pass��es, c'est fini. Il ne mord plus, le gredin, il fait la sieste au soleil.
Le bonhomme regardait la mer autour de lui avec un air satisfait de propri��taire.
C'��tait un ancien bijoutier parisien qu'un amour immod��r�� de la navigation et de la p��che avait arrach�� au comptoir d��s qu'il eut assez d'aisance pour vivre modestement de ses rentes.
Il se retira donc au Havre, acheta une barque et devint matelot amateur. Ses deux fils, Pierre et Jean, rest��rent �� Paris pour continuer leurs ��tudes et vinrent en cong�� de temps en temps partager les plaisirs de leur p��re.
A la sortie du coll��ge, l'a?n��, Pierre, de cinq ans plus ag�� que Jean, s'��tant senti successivement de la vocation pour des professions vari��es, en avait essay��, l'une apr��s l'autre, une demi-douzaine, et, vite d��go?t�� de chacune, se lan?ait aussit?t dans de nouvelles esp��rances.
En dernier lieu la m��decine l'avait tent��, et il s'��tait mis au travail avec tant d'ardeur, qu'il venait d'��tre re?u docteur apr��s d'assez courtes ��tudes et des dispenses de temps obtenues du ministre. Il ��tait exalt��, intelligent, changeant et tenace, plein d'utopies et d'id��es philosophiques.
Jean, aussi blond que son fr��re ��tait noir, aussi calme que son fr��re ��tait emport��, aussi doux que son fr��re ��tait rancunier, avait fait tranquillement son droit et venait d'obtenir son dipl?me de licenci�� en m��me temps que Pierre obtenait celui de docteur.
Tous les deux prenaient donc un peu de repos dans leur famille, et tous les deux formaient le projet de s'��tablir au Havre s'ils parvenaient �� le faire dans des conditions satisfaisantes.
Mais une vague jalousie, une de ces jalousies dormantes qui grandissent presque invisibles entre fr��res ou entre soeurs jusqu'�� la maturit�� et qui ��clatent �� l'occasion d'un mariage ou d'un bonheur tombant sur l'un, les tenait en ��veil dans une fraternelle et inoffensive inimiti��. Certes ils s'aimaient, mais ils s'��piaient. Pierre, ag�� de cinq ans �� la naissance de Jean, avait regard�� avec une hostilit�� de petite b��te gat��e cette autre petite b��te apparue tout �� coup dans les bras de son p��re et de sa m��re, et tant aim��e, tant caress��e par eux.
Jean, d��s son enfance, avait ��t�� un mod��le de douceur, de bont�� et de caract��re ��gal; et Pierre s'��tait ��nerv��, peu �� peu, �� entendre vanter sans cesse ce gros gar?on dont la douceur lui semblait ��tre de la mollesse, la bont�� de la niaiserie et la bienveillance de l'aveuglement. Ses parents, gens placides, qui r��vaient pour leurs fils des situations honorables et m��diocres, lui reprochaient ses ind��cisions, ses enthousiasmes, ses tentatives avort��es, tous ses ��lans impuissants vers des id��es g��n��reuses et vers des professions d��coratives.
Depuis qu'il ��tait homme, on ne lui disait plus: ?Regarde Jean et imite-le!? mais chaque fois qu'il entendait r��p��ter: ?Jean a fait ceci, Jean a fait cela,? il comprenait bien le sens et l'allusion cach��s sous ces paroles.
Leur m��re, une femme d'ordre, une ��conome bourgeoise un peu sentimentale, dou��e d'une ame tendre de caissi��re, apaisait sans cesse les petites rivalit��s n��es chaque jour entre ses deux grands fils, de tous les menus faits de la vie commune. Un l��ger ��v��nement, d'ailleurs, troublait en ce moment sa qui��tude, et elle craignait une complication, car elle avait fait la connaissance pendant l'hiver, pendant que ses enfants achevaient l'un et l'autre leurs ��ludes sp��ciales, d'une voisine, Mme Ros��milly, veuve d'un capitaine au long cours, mort �� la mer deux ans auparavant. La jeune veuve, toute jeune, vingt-trois trois ans, une ma?tresse femme qui connaissait l'existence d'instinct, comme un animal libre, comme si elle e?t vu, subi, compris et pes�� tous les ��v��nements possibles, qu'elle jugeait avec un esprit sain, ��troit et bienveillant, avait pris l'habitude de venir faire un bout de tapisserie et de causette, le soir, chez ces voisins aimables qui lui offraient une tasse de th��.
Le p��re Roland, que sa manie de pose marine aiguillonnait sans cesse, interrogeait leur nouvelle amie sur le d��funt capitaine, et elle parlait de lui, de ses voyages, de ses anciens r��cits, sans embarras, en femme raisonnable et r��sign��e qui aime la vie et respecte la mort.
Les deux fils, �� leur retour, trouvant cette jolie veuve install��e dans la maison, avaient aussit?t commenc�� �� la courtiser, moins par d��sir de lui plaire que par envie de se supplanter.
Leur m��re, prudente et pratique, esp��rait vivement qu'un des deux triompherait,
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