ne se trouve d��j��, �� peu pr��s pareille, quelque part. Quand nous lisons, nous, si satur��s d'��criture fran?aise que notre corps entier nous donne l'impression d'��tre une pate faite avec des mots, trouvons-nous jamais une ligne, une pens��e qui ne nous soit famili��re, dont nous n'ayons eu, au moins, le confus pressentiment?
L'homme qui cherche seulement �� amuser son public par des moyens d��j�� connus, ��crit avec confiance, dans la candeur de sa m��diocrit��, des oeuvres destin��es �� la foule ignorante et d��soeuvr��e. Mais ceux sur qui p��sent tous les si��cles de la litt��rature pass��e, ceux que rien ne satisfait, que tout d��go?te, parce qu'ils r��vent mieux, �� qui tout semble d��flor�� d��j��, �� qui leur oeuvre donne toujours l'impression d'un travail inutile et commun, en arrivent �� juger l'art litt��raire une chose insaisissable, myst��rieuse, que nous d��voilent �� peine quelques pages des plus grands ma?tres.
Vingt vers, vingt phrases, lus tout �� coup nous font tressaillir jusqu'au coeur comme une r��v��lation surprenante; mais les vers suivants ressemblent �� tous les vers, la prose qui coule ensuite ressemble �� toutes les proses.
Les hommes de g��nie n'ont point, sans doute, ces angoisses et ces tourments, parce qu'ils portent en eux une force cr��atrice irr��sistible. Ils ne se jugent pas eux-m��mes. Les autres, nous autres qui sommes simplement des travailleurs conscients et tenaces, nous ne pouvons lutter contre l'invincible d��couragement que par la continuit�� de l'effort.
Deux hommes par leurs enseignements simples et lumineux m'ont donn�� cette force de toujours tenter: Louis Bouilhet et Gustave Flaubert.
Si je parle ici d'eux et de moi c'est que leurs conseils, r��sum��s en peu de lignes, seront peut-��tre utiles �� quelques jeunes gens moins confiants en eux-m��mes qu'on ne l'est d'ordinaire quand on d��bute dans les lettres.
Bouilhet, que je connus le premier d'une fa?on un peu intime, deux ans environ avant de gagner l'amiti�� de Flaubert, �� force de me r��p��ter que cent vers, peut-��tre moins, suffisent �� la r��putation d'un artiste, s'ils sont irr��prochables et s'ils contiennent l'essence du talent et de l'originalit�� d'un homme m��me de second ordre, me f?t comprendre que le travail continuel et la connaissance profonde du m��tier peuvent, un jour de lucidit��, de puissance et d'entra?nement, par la rencontre heureuse d'un sujet concordant bien avec toutes les tendances de notre esprit, amener cette ��closion de l'oeuvre courte, unique et aussi parfaite que nous la pouvons produire.
Je compris ensuite que les ��crivains les plus connus n'ont presque jamais laiss�� plus d'un volume et qu'il faut, avant tout, avoir cette chance de trouver et de discerner, au milieu de la multitude des mati��res qui se pr��sentent �� notre choix, celle qui absorbera toutes nos facult��s, toute notre valeur, toute notre puissance artiste.
Plus tard, Flaubert, que je voyais quelquefois, se prit d'affection pour moi. J'osai lui soumettre quelques essais. Il les lut avec bont�� et me r��pondit: ?Je ne sais pas si vous aurez du talent. Ce que vous m'avez apport�� prouve une certaine intelligence, mais n'oubliez point ceci, jeune homme, que le talent--suivant le mot de Chateaubriand--n'est qu'une longue patience. Travaillez.?
Je travaillai, et je revins souvent chez lui, comprenant que je lui plaisais, car il s'��tait mis �� m'appeler, en riant, son disciple.
Pendant sept ans je fis des vers, je fis des contes, je fis des nouvelles, je fis m��me un drame d��testable. Il n'en est rien rest��. Le ma?tre lisait tout, puis le dimanche suivant, en d��jeunant, d��veloppait ses critiques et enfon?ait en moi, peu �� peu, deux ou trois principes qui sont le r��sum�� de ses longs et patients enseignements. ?Si on a une originalit��, disait-il, il faut avant tout la d��gager; si on n'en a pas, il faut en acqu��rir une.?
--Le talent est une longue patience.--Il s'agit de regarder tout ce qu'on veut exprimer assez longtemps et avec assez d'attention pour en d��couvrir un aspect qui n'ait ��t�� vu et dit par personne. Il y a, dans tout, de l'inexplor��, parce que nous sommes habitu��s �� ne nous servir de nos yeux qu'avec le souvenir de ce qu'on a pens�� avant nous sur ce que nous contemplons. La moindre chose contient un peu d'inconnu. Trouvons-le. Pour d��crire un feu qui flambe et un arbre dans une plaine, demeurons en face de ce feu et de cet arbre jusqu'�� ce qu'ils ne ressemblent plus, pour nous, �� aucun autre arbre et �� aucun autre feu.
C'est de cette fa?on qu'on devient original.
Ayant, en outre, pos�� cette v��rit�� qu'il n'y a pas, de par le monde entier, deux grains de sable, deux mouches, deux mains ou deux nez absolument pareils, il me for?ait �� exprimer, en quelques phrases, un ��tre ou un objet de mani��re �� le particulariser nettement, �� le distinguer de tous les autres ��tres ou de tous les autres objets de m��me race ou de m��me esp��ce.
?Quand vous passez, me disait-il, devant
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