Pierre et Jean | Page 3

Guy de Maupassant
tous ceux qui seraient demeur��s inaper?us pour des observateurs peu clairvoyants et qui donnent au livre sa port��e, sa valeur d'ensemble.
On comprend qu'une semblable mani��re de composer, si diff��rente de l'ancien proc��d�� visible �� tous les yeux, d��route souvent les critiques, et qu'ils ne d��couvrent pas tous les fils si minces, si secrets, presque invisibles, employ��s par certains artistes modernes �� la place de la ficelle unique qui avait nom: l'Intrigue.
En somme, si le Romancier d'hier choisissait et racontait les crises de la vie, les ��tats aigus de l'ame et du coeur, le Romancier d'aujourd'hui ��crit l'histoire du coeur, de l'ame et de l'intelligence �� l'��tat normal. Pour produire l'effet qu'il poursuit, c'est-��-dire l'��motion de la simple r��alit�� et pour d��gager l'enseignement artistique qu'il en veut tirer, c'est-��-dire la r��v��lation de ce qu'est v��ritablement l'homme contemporain devant ses yeux, il devra n'employer que des faits d'une v��rit�� irr��cusable et constante.
Mais en se pla?ant au point de vue m��me de ces artistes r��alistes, on doit discuter et contester leur th��orie qui semble pouvoir ��tre r��sum��e par ces mots: ?Rien que la v��rit�� et toute la v��rit��.?
Leur intention ��tant de d��gager la philosophie de certains faits constants et courants, ils devront souvent corriger les ��v��nements au profit de la vraisemblance et au d��triment de la v��rit��, car:
Le vrai peut quelquefois n'��tre pas vraisemblable.
Le r��aliste, s'il est un artiste, cherchera, non pas �� nous montrer la photographie banale de la vie, mais �� nous en donner la vision plus compl��te, plus saisissante, plus probante que la r��alit�� m��me.
Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journ��e, pour ��num��rer les multitudes d'incidents insignifiants qui emplissent notre existence. Un choix s'impose donc,--ce qui estime premi��re atteinte �� la th��orie de toute la v��rit��.
La vie, en outre, est compos��e des choses les plus diff��rentes, les plus impr��vues, les plus contraires, les plus disparates; elle est brutale, sans suite, sans cha?ne, pleine de catastrophes inexplicables, illogiques et contradictoires qui doivent ��tre class��es au chapitre faits divers.
Voil�� pourquoi l'artiste, ayant choisi son th��me, ne prendra dans cette vie encombr��e de hasards et de futilit��s que les d��tails caract��ristiques utiles �� son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l'��-c?t��.
Un exemple entre mille:
Le nombre des gens qui meurent chaque jour par accident est consid��rable sur la terre. Mais pouvons-nous faire tomber une tuile sur la t��te d'un personnage principal, ou le jeter sous les roues d'une voiture, au milieu d'un r��cit, sous pr��texte qu'il faut faire la part de l'accident?
La vie encore laisse tout au m��me plan, pr��cipite les faits ou les tra?ne ind��finiment. L'art, au contraire, consiste �� user de pr��cautions et de pr��parations, �� m��nager des transitions savantes et dissimul��es, �� mettre en pleine lumi��re, par la seule adresse de la composition, les ��v��nements essentiels et �� donner �� tous les autres le degr�� de relief qui leur convient, suivant leur importance, pour produire la sensation profonde de la v��rit�� sp��ciale qu'on veut montrer.
Faire vrai consiste donc �� donner l'illusion compl��te du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non �� les transcrire servilement dans le p��le-m��le de leur succession.
J'en conclus que les R��alistes de talent devraient s'appeler plut?t des Illusionnistes.
Quel enfantillage, d'ailleurs, de croire �� la r��alit�� puisque nous portons chacun la n?tre dans notre pens��e et dans nos organes. Nos yeux, nos oreilles, notre odorat, notre go?t diff��rents cr��ent autant de v��rit��s qu'il y a d'hommes sur la terre. Et nos esprits qui re?oivent les instructions de ces organes, diversement impressionn��s, comprennent, analysent et jugent comme si chacun de nous appartenait �� une autre race.
Chacun de nous se fait donc simplement une illusion du monde, illusion po��tique, sentimentale, joyeuse, m��lancolique, sale ou lugubre suivant sa nature. Et l'��crivain n'a d'autre mission que de reproduire fid��lement cette illusion avec tous les proc��d��s d'art qu'il a appris et dont il peut disposer.
Illusion du beau qui est une convention humaine! Illusion du laid qui est une opinion changeante! Illusion du vrai jamais immuable! Illusion de l'ignoble qui attire tant d'��tres! Les grands artistes sont ceux qui imposent �� l'humanit�� leur illusion particuli��re.
Ne nous fachons donc contre aucune th��orie puisque chacune d'elles est simplement l'expression g��n��ralis��e d'un temp��rament qui s'analyse.
Il en est deux surtout qu'on a souvent discut��es en les opposant l'une �� l'autre au lieu de les admettre l'une et l'autre, celle du roman d'analyse pure et celle du roman objectif. Les partisans de l'analyse demandent que l'��crivain s'attache �� indiquer les moindres ��volutions d'un esprit et tous les mobiles les plus secrets qui d��terminent nos actions, en n'accordant au fait lui-m��me qu'une importance tr��s secondaire. Il est le point d'arriv��e, une simple borne, le pr��texte du roman. Il faudrait donc, d'apr��s eux, ��crire ces oeuvres pr��cises et r��v��es o�� l'imagination se confond avec l'observation, �� la mani��re d'un philosophe composant
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