Pierre et Jean | Page 2

Guy de Maupassant
demande �� l'��crivain de r��pondre �� son go?t pr��dominant, et il qualifie invariablement de remarquable ou de bien ��crit, l'ouvrage ou le passage qui pla?t �� son imagination id��aliste, gaie, grivoise, triste, r��veuse ou positive.
En somme, le public est compos�� de groupes nombreux qui nous crient:
--Consolez-moi.
--Amusez-moi.
--Attristez-moi.
--Attendrissez-moi.
--Faites-moi r��ver.
--Faites-moi rire.
--Faites-moi fr��mir.
--Faites-moi pleurer.
--Faites-moi penser.
Seuls, quelques esprits d'��lite demandent �� l'artiste:
--Faites-moi quelque chose de beau, dans la forme qui vous conviendra le mieux, suivant votre temp��rament.
L'artiste essaie, r��ussit ou ��choue.
Le critique ne doit appr��cier le r��sultat que suivant la nature de l'effort; et il n'a pas le droit de se pr��occuper des tendances.
Cela a ��t�� ��crit d��j�� mille fois. Il faudra toujours le r��p��ter.
Donc, apr��s les ��coles litt��raires qui ont voulu nous donner une vision d��form��e, surhumaine, po��tique, attendrissante, charmante ou superbe de la vie, est venue une ��cole r��aliste ou naturaliste qui a pr��tendu nous montrer la v��rit��, rien que la v��rit�� et toute la v��rit��.
Il faut admettre avec un ��gal int��r��t ces th��ories d'art si diff��rentes et juger les oeuvres qu'elles produisent, uniquement au point de vue de leur valeur artistique en acceptant a priori les id��es g��n��rales d'o�� elles sont n��es.
Contester le droit d'un ��crivain de faire une oeuvre po��tique ou une oeuvre r��aliste, c'est vouloir le forcer �� modifier son temp��rament, r��cuser son originalit��, ne pas lui permettre de se servir de l'oeil et de l'intelligence que la nature lui a donn��s.
Lui reprocher de voir les choses belles ou laides, petites ou ��piques, gracieuses ou sinistres, c'est lui reprocher d'��tre conform�� de telle ou telle fa?on et de ne pas avoir une vision concordant avec la n?tre.
Laissons-le libre de comprendre, d'observer, de concevoir comme il lui plaira, pourvu qu'il soit un artiste. Devenons po��tiquement exalt��s pour juger un id��aliste et prouvons-lui que son r��ve est m��diocre, banal, pas assez fou ou magnifique. Mais si nous jugeons un naturaliste, montrons-lui en quoi la v��rit�� dans la vie diff��re de la v��rit�� dans son livre.
Il est ��vident que des ��coles si diff��rentes ont d? employer des proc��d��s de composition absolument oppos��s.
Le romancier qui transforme la v��rit�� constante, brutale et d��plaisante, pour en tirer une aventure exceptionnelle et s��duisante, doit, sans souci exag��r�� de la vraisemblance, manipuler les ��v��nements �� son gr��, les pr��parer et les arranger pour plaire au lecteur, l'��mouvoir ou l'attendrir. Le plan de son roman n'est qu'une s��rie de combinaisons ing��nieuses conduisant avec adresse au d��nouement. Les incidents sont dispos��s et gradu��s vers le point culminant et l'effet de la fin, qui est un ��v��nement capital et d��cisif, satisfaisant toutes les curiosit��s ��veill��es au d��but, mettant une barri��re �� l'int��r��t, et terminant si compl��tement l'histoire racont��e qu'on ne d��sire plus savoir ce que deviendront, le lendemain, les personnages les plus attachants.
Le romancier, au contraire, qui pr��tend nous donner une image exacte del�� vie, doit ��viter avec soin tout encha?nement d'��v��nements qui para?trait exceptionnel. Son but n'est point de nous raconter une histoire, de nous amuser ou de nous attendrir, mais de nous forcer �� penser, �� comprendre le sens profond et cach�� des ��v��nements. A force d'avoir vu et m��dit�� il regarde l'univers, les choses, les faits et les hommes d'une certaine fa?on qui lui est propre et qui r��sulte de l'ensemble de ses observations r��fl��chies. C'est cette vision personnelle du monde qu'il cherche �� nous communiquer en la reproduisant dans un livre. Pour nous ��mouvoir, comme il l'a ��t�� lui-m��me par le spectacle de la vie, il doit la reproduire devant nos yeux avec une scrupuleuse ressemblance. Il devra donc composer son oeuvre d'une mani��re si adroite, si dissimul��e, et d'apparence si simple, qu'il soit impossible d'en apercevoir et d'en indiquer le plan, de d��couvrir ses intentions.
Au lieu de machiner une aventure et de la d��rouler de fa?on �� la rendre int��ressante jusqu'au d��nouement, il prendra son ou ses personnages �� une certaine p��riode de leur existence et les conduira, par des transitions naturelles, jusqu'�� la p��riode suivante. Il montrera de cette fa?on, tant?t comment les esprits se modifient sous l'influence des circonstances environnantes, tant?t comment se d��veloppent les sentiments et les passions, comment on s'aime, comment on se hait, comment on se combat dans tous les milieux sociaux, comment luttent les int��r��ts bourgeois, les int��r��ts d'argent, les int��r��ts de famille, les int��r��ts politiques.
L'habilet�� de son plan ne consistera donc point dans l'��motion ou dans le charme, dans un d��but attachant ou dans une catastrophe ��mouvante, mais dans le groupement adroit de petits faits constants d'o�� se d��gagera le sens d��finitif de l'oeuvre. S'il fait tenir dans trois cents pages dix ans d'une vie pour montrer quelle a ��t��, au milieu de tous les ��tres qui l'ont entour��e, sa signification particuli��re et bien caract��ristique, il devra savoir ��liminer, parmi les menus ��v��nements innombrables et quotidiens, tous ceux qui lui sont inutiles, et mettre en lumi��re, d'une fa?on sp��ciale,
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