monde et la vérité
elle-même, la caverne redoutable et sacrée, l'abîme qui n'engendra
qu'une fois pour engendrer la mort!
* * * * *
PHÉBOR
Vraiment, je la hais, depuis que je t'ai retrouvée.
PHÉNA
Tu as puisé en moi: je suis un puits de haine.
PHÉBOR
Oui, je suis tout ruisselant de haine!
PHÉNA
Ah! la belle et tragique et somptueuse et douloureuse et consolante nuit
où la délivrance fut conçue! Car j'ai conçu dans tes bras, Phébor! Un
frisson spécial et unique me l'a dit. J'ai conçu, j'en suis sûre, et, en
négation des lois de la nature, j'accoucherai quand tu voudras.
PHÉBOR
Mes mains seront le forceps!
PHÉNA
Ah! donne, que je les baise, ces mains qui vont étrangler l'avenir!
PHÉBOR
Oui, j'étranglerai l'avenir, les possibilités encloses dans l'espoir, les
peut-être qui dorment dans la coquille de l'oeuf. Nous assassinerons la
Rédemption. Le sommeil ne se réveillera pas. Toute la lumière tombée
dans les yeux violets de la jeune amoureuse, nous la dessécherons
comme un marais trop noblement pestilentiel pour la délicatesse de
notre haine. Nous la dessécherons comme un ruisselet, en la buvant;
comme un fleuve, en la détournant vers l'océan de la nuit par une route
sûre,--et nous creuserons ce lit nouveau dans le roc et dans
l'imperméable glaise,--et la gloire de demain tombera de l'autre côté du
monde!
O joie de tuer la féconde et aimable bête! O joie d'écraser les innocents
scarabées qui grimpent aux feuilles des fougères,--et de respecter les
vipères et de s'en faire des bracelets!
Elle n'est rien...
PHÉNA
Qui?
PHÉBOR
Phénissa.
PHÉNA
Rien?
PHÉBOR
Non, elle n'est rien, elle est le futur, la beauté de demain, l'amour de
demain, la vie de demain!
PHÉNA
La vie de demain! Tue, tue! L'oblation de sa vie engraissera la genèse
de mes fureurs. Nous l'enterrerons au pied de notre amour, sous les
racines du chêne, et des glands nés de cette chair révolue, nous ferons
de sacrilèges hosties, d'inimitables pains de réconfort, de puissance, de
vie,--et peut-être d'éternité.
PHÉBOR
C'est le philtre qu'il nous fallait.
PHÉNA
Nous serons si forts que les siècles vaincus viendront nous baiser les
pieds.
PHÉBOR
Je songe... Je songe... En elle je tue des générations... Comme elles sont
nombreuses! Son fils, aux yeux volontaires et doux, avec un signe à la
joue! Sa fille, aux cheveux blonds tout bouclés, avec une petite bouche
rose et un joli sourire! Le fils de son fils, violent dès son enfance, avec
le geste orgueilleux de relever le front! Le fils de son petit-fils, pensif et
les yeux toujours ouverts vers le mystère,--comme elle!... Que de
générations! Elles sont trop nombreuses: je ne vois plus qu'un champ
de têtes blondes et une faux immense et sûre, qui fauche!...
PHÉNA
Que de vies en une seule, et quelle libération! Toutes ces puissances
futures qui nous pressaient de vivre pour vivre à notre place, tous ces
désirs obscurs qui comptaient nos heures et guettaient, pour s'y
accoupler, le silence et le deuil de notre lit, toutes ces hideuses énergies,
toutes ces hypocrites têtes blondes, tu les fauches, Phébor!--ô solide et
invincible faucheur! Va, mon Phébor, ne rêve plus, agis! Etrangle-la
doucement, comme lorsqu'on étouffe une conscience.
QUATRIÈME ÉPISODE
(Le soir.--Une salle du palais, éclairée par une faible veilleuse.--Entre
Phénissa, les bras pleins de roses.)
PHÉNISSA
Oh! comme c'est noir, ici! Comme c'est froid! Comme c'est vide! Où
sont-ils? Où est-il, lui? Il me délaisse, toutes les nuits, et je ne le vois
pas de la journée. Il ne m'a pas embrassée une fois, depuis tel soir
lointain où mon désir vainquit son ennui... Pourquoi est-il si sombre et
si muet? Le remède? Il n'a qu'à m'aimer comme je l'aime,--surtout
depuis que ses baisers ont fait fleurir ma chair! Ma jeunesse va
s'épanouir, je vais être féconde, je vais donner au monde une vie
nouvelle. Il me semble que je suis le premier anneau d'une longue
chaîne d'amour, si longue qu'elle enlace les arbres et les montagnes, si
longue qu'elle traverse les déserts, les fleuves et les mers,--une longue
chaîne d'êtres heureux et fiers! Je me sens la créatrice d'une race
inconnue et formidable, moi, toute petite, moi l'enfant initiée à peine, je
me sens devenir la mère d'une lignée de géants. Sors de moi, fils
prédestiné, et, fécond à ton tour, va féconder les matrices qui attendent
leur maître! Je voudrais qu'il fût sorti, je voudrais qu'il fût grand déjà et
déjà en toute sa force, car sa mission est lourde: il doit pacifier les
hommes. Mais il affligera les coeurs durs et il réjouira les affligés. Fils
de la charité, il sera la justice. Ils le savent bien, eux, les miens, ceux
que j'ai choisis entre les plus laids et entre les plus affamés, et quand les
pauvres me baisent la main, ils regardent mon
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