ventre, et quand ils
mangent leur pain, ils pensent à mon fils, l'Avenir! Oh! viens, créature
de l'universel désir, réalise-toi par moi, et s'il te faut tout mon sang pour
vivre, dessèches mes veines!...
Quel bruit?... Non, rien. Quel silence! Comme je suis seule! Je me
trouve mal... Quelle tristesse, quelle nuit! Je me trouve mal... Non, je
suis lasse, seulement, mais si lasse qu'il me semble que je tombe, que je
roule, que je m'en vais vers un abîme... J'ai cueilli trop de fleurs. Où
sont-elles? Je ne vois plus rien. J'ai cueilli trop de roses... Il me semble
qu'on me cueille aussi, comme une rose... Je sens un arrachement...
(Entre le Pauvre)
Qui est là? Toi? C'est vrai, je t'ai promis une aumône, je t'ai dit de venir
ce soir... mais je ne sais plus...
LE PAUVRE
Viens, Reine, viens! ils t'attendent, ils sont là, tous. Ils veulent te voir,
ils ont peur, ils ont des pressentiments, ils se disent des choses entre
eux... Ils t'emmèneront, viens, tu seras leur Reine, viens! N'as-tu pas
peur, toi aussi? N'as-tu pas peur de mourir?
PHÉNISSA
Oui, tout d'un coup j'ai senti cela, j'ai peur, j'ai peur de mourir...
LE PAUVRE
Viens vivre! Viens réaliser la prophétie! Ecoute ce qu'a dit la Voix:
»En moi germe la haine des humiliés et j'ai des dents aiguës.
»Je rognerai leur gloire et leur état d'être heureux: la certitude des
mâles retombera dans la ténèbre des glabres.
»Le sang illuminera mon étendard blanc.»
Viens réaliser la prophétie.
PHÉNISSA
Oui, va leur dire que je suis leur Reine. Qu'ils viennent me chercher,
qu'ils viennent tous!
LE PAUVRE
Tu réaliseras la prophétie: «Le sang illuminera ton étendard blanc».
PHÉNISSA
Non, pas de sang sur mon étendard, pas de sang sur mes mains! Je ne
suis pas cruelle,--non! mais j'absous votre cruauté si elle sauve celui
que je porte, le prince futur. Va leur dire qu'ils viennent, je suis leur
Reine!
(Le Pauvre s'en va.)
Reine des Pauvres, Reine de ceux qui n'existent qu'en puissance et en
volonté, Reine de ceux de demain, Reine de la forêt naissante
qu'engraissera la pourriture des vieux troncs éventrés, Reine de la
jeunesse, de la vie et de l'avenir! Peuple des misérables, mon coeur
faible bat pour ta souffrance avec la force et la majesté d'un océan.
Vogue sur l'océan de mon coeur, peuple triste, vogue parmi la tempête
vers le continent que rougit la pourpre d'une aube adorable, vogue! Ta
douleur est l'insubmersible radeau que nulle vague n'engloutira
jamais,--d'entre l'écrasement des avalanches et d'écume elle resurgit,
elle vogue vers l'avenir! Vogue, peuple des misérables!
Phébor, mon maître, adieu! Père inconscient du futur, adieu! Présent
qui as fécondé le lendemain, adieu!
Que se passe-t-il en moi? Quelle est la voix qui parlait en moi? Où
suis-je? J'ai peur! Oh! mes mains tremblent, mes jambes tremblent!... Il
me semble qu'un vent froid passe sur moi... Où suis-je? Ah! le vent
m'emporte, le vent m'emporte dans les espaces.
(Entre Phébor.)
Phébor, soutiens-moi!
PHÉBOR
Il la reçoit dans ses bras et l'étrangle.
Là, là! Elle est morte bien doucement, comme une perdrix blessée
qu'on achève... C'est fait... Elle est venue au devant du lacet... Où
vais-je la mettre?... Dans ce coin-là...
(Il la couche, puis la traîne par les cheveux.)
Elle est lourde... Oh! oh! Son ventre est énorme!... Elle ne mentait pas,
elle était grosse. De moi! Bien, je reprends mon sang, je bois le vin que
j'avais versé dans son verre... Des fleurs! Pourquoi toutes ces fleurs?
Des roses, des roses, des roses... Ainsi, je viens de la tuer... C'est fait.
Quoi? Qu'ai-je fait? Rien. Elle était morte, quand j'ai serré son cou, un
peu trop fort... Ce n'est pas moi... Pauvre enfant!
(Il prend des roses et les jette sur elle.)
Elle a remué! J'ai vu ses doigts se mouvoir comme pour prendre une
des roses...
Son ventre aussi, son ventre s'agite...
Ah! criminel imbécile qui n'a pas su tuer du premier coup!...
(Il arrache de sa gaine une des épées qui pendent aux murs.)
Lâche qui n'ose pas recommencer!... Lâche qui reste à moitié du
crime!... A-t-elle remué vraiment?... Oui, elle remue!...
(Il lui perce le coeur, puis le ventre.)
Ah! le sang, quel philtre! La vue du sang m'exalte! Voilà les roses
blanches devenues toutes rouges! Ah! les belles roses rouges!
(Des voix, dehors, chantent.)
Les sirènes Etaient trois reines, Chacune a choisi son roi. Les sirènes,
Etaient trois reines, Sois notre reine, ô Messagère!
PHÉBOR
Qui chante en ce moment, en un tel moment, quand l'oeuvre vient de
s'accomplir, quand la fécondité vient d'être niée, quand le désir gît dans
son sang, quand l'avenir vient d'être étranglé, quand le présent triomphe,
quand Goliath a égorgé David? Quelle est cette chanson stupide?
Chante, peuple hideux, la Messagère est morte!
(Entre Phéna.)
PHÉNA
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