Il
décida toutes ces peuplades à envoyer, pour le printemps suivant, des
députés au Sault-Sainte-Marie, afin d'y procéder à la reconnaissance du
protectorat de la France sur les contrées qui forment les bassins des lacs
Supérieur, Huron, Erie, Michigan. Quatorze cents sauvages furent
fidèles au rendez-vous. M. de Saint-Lusson, délégué, par l'intendant
Talon, procéda solennellement à l'acte de reconnaissance.
«Sur la prairie qui domine les Rapides, on avait préparé une Croix et un
poteau en Bois de cèdre surmonté d'un écusson aux armes de France.
Les Indiens, dans leur appareil de guerre, précédés du Délégué,
formaient un vaste cercle autour de ces derniers emblèmes de la foi
religieuse et de la domination politique. Au moment où l'on éleva le
premier, les missionnaires et les Français entonnèrent le Vexilla, puis,
quand les armes de France parurent dans les airs, l'Exaudiat.
«Cela fait, le père Claude Allouez, très-versé dans la connaissance de la
langue algonquine, adressa aux Indiens un long discours pour leur
expliquer le but de la réunion et les avantages qu'ils retireraient du
protectorat de la France. Il termina par un éloge du monarque auquel ils
allaient se donner et par un pompeux tableau de sa puissance. Ce
discours a été conservé, en entier, dans les Relations des Jésuites: il est
fort curieux en ce qu'il montre l'extrême souplesse de l'esprit des
jésuites et leur habileté incomparable à adapter leur éloquence et leurs
moyens d'action au caractère particulier des peuples qu'ils avaient à
soumettre au joug de la civilisation et de la foi.
«Il est probable que les Indiens furent fortement impressionnés de ce
discours, car, lorsque M. de Saint-Lusson, après que le père Allouez eut
fini de parler, leur demanda s'ils consentaient à se ranger, eux, leurs
descendants et leurs pays sous l'autorité du grand Ononthio [6], ce ne
fut qu'un cri d'assentiment. Les Français y répondirent par les
acclamations de Vive le roi! et des décharges de mousqueterie. La
cérémonie se termina par un Te Deum.
«Cet acte est célèbre dans l'histoire de l'Amérique sous le nom de Traité
du Sault-Sainte-Marie. Il est peu de titres parmi ceux qui garantissent
les possessions territoriales des nations ou des princes européens qui
aient une origine aussi sérieuse, aussi authentique et aussi libérale que
le traité par lequel la France a possédé, pendant quatre-vingt-dix ans,
tout le nord-ouest des États-Unis [7].
[Note 6: C'est encore ainsi que les Indiens nomment le gouverneur du
Canada.--H.-E. C.]
[Note 7: L'auteur aurait dû dire «de l'Amérique septentrionale,» puisque
le territoire de la baie d'Hudson qui fait partie de cette contrée et qui est
maintenant aux Anglais devint, par ce traité, notre propriété.--H.-E. C.]
«La guerre de Sept-Ans et le traité qui en a été la suite nous ont
dépouillés de ce magnifique héritage, mais aujourd'hui, quand un
Français y pénètre en étranger, il ne peut oublier que ses ancêtres le
reçurent jadis librement des mains d'une race faible et confiante; que,
fidèles à leurs engagements, ils avaient entrepris de la civiliser, et que
leurs successeurs, héritiers de leurs devoirs comme de leurs droits, n'ont
su que la dégrader, l'anéantir [8].
[Note 8: Civiliser les Indiens utopie, prétexte de l'ambition ou du
fanatisme religieux. Le sauvage est moins fait pour la civilisation que le
civilisé pour la vie sauvage. Les gens désintéressés, qui connaissent les
Peaux-Rouges, loin de songer à les civiliser, protestent contre les
tentatives faites à ce sujet. Écoutez Schoolcraft, un observateur profond,
un savant érudit, un écrivain consciencieux, qui passe la moitié de sa
vie au milieu du désert américain:
«L'Indien est possédé d'un esprit de réminiscence qui se plaît dans des
allusions au passé. Il parle d'une sorte d'âge d'or où tout allait mieux
pour lui que maintenant, alors qu'il avait de meilleures lois, de
meilleurs chefs, que les crimes étaient plus promptement punis, que sa
langue était parlée avec une pureté plus grande, que les moeurs étaient
moins entachées de barbarie. Mais tout cela semble passer à travers le
cerveau indien comme un rêve, et lui fournit plutôt la source d'une sorte
de rétrospection agréable et secrète qu'un stimulant pour l'exciter à des
efforts présents ou futurs. Il languit comme un être déchu et désespéré
de se relever. Il ne paraît, pas ouvrir les yeux à la perspective de la
civilisation et de l'exaltation mentale déroulée devant lui, comme si
cette scène lui était nouvelle ou attrayante. Depuis plus de deux siècles
des instructeurs (teachers) et des philanthropes lui ont peint ce tableau,
mais il n'y a rien vu pour secouer sa torpeur et s'élancer dans la carrière
de la civilisation et du perfectionnement. Il s'est plutôt éloigné de ce
spectacle avec l'air d'une personne pour qui toutes ces choses
«nouvelles» étaient «vieilles», et il a résolument préféré ses bois, son
wigwam, son canot. --Algic Researches preliminary observations, par
H.-R. Schoolcraft.
Je
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.