Pauvre petite! | Page 7

Paul Bourget
poup��e magnifique, je m'empressai de lui montrer ce superbe cadeau.
--Regardez, tante, quels beaux yeux a ma fille! quels beaux cheveux blonds! Voyez, elle est presque aussi grande que moi!
Tante n'eut pas son beau sourire habituel; une sombre pens��e sembla lui traverser l'esprit, sans doute un souvenir cruel!... Elle prit la poup��e, se mit �� l'examiner... puis, levant d'abord les yeux au ciel, elle l'attira vers elle en l'appelant: ?Georges, mon bien-aim�� Georges!? et elle l'embrassa longuement... longuement... Tout �� coup, fron?ant les sourcils, elle la rejeta violemment �� terre et, se renversant dans son fauteuil, elle se mit �� pleurer en criant: ?Parbleu! parbleu!...?
Je me pr��cipitai pour voir si ma pauvre poup��e ne s'��tait pas cass��e dans sa chute terrible... Pendant ce temps, on ��tait accouru au bruit des sanglots de ma tante, et on m'emmena vivement sans m��me me laisser le temps de lui dire au revoir!
Cette sc��ne m'avait vraiment impressionn��e. ?Qu'a donc pens�� ma tante, me disais-je, ma poup��e lui plaisait, et elle s'est fach��e presque aussit?t? J'irai et je lui demanderai.? J'avais assez de malice pour flairer un myst��re, et je ne fis part de mes observations �� personne.
Quand je retournai pr��s de ma vieille tante, je ne pris pas ma poup��e, elle n'eut pas l'air de s'en apercevoir, et nous jouions depuis quelques minutes, lorsque je lui dis:
--Tante, pourquoi vous ��tes-vous fach��e l'autre jour?
--Je ne me suis pas fach��e, mon enfant, r��pondit-elle.
--Mais si, tante, vous avez embrass�� ma belle poup��e, et vous l'avez jet��e, apr��s, si rudement sur le plancher, que j'ai cru la ramasser en morceaux!
--Tu me la rapporteras encore, n'est-ce pas?
--Alors il ne faudra plus la jeter par terre?
--Oh! non, je l'aime trop!
--Vous l'aimez? C'est dr?le! Moi aussi.
--Toi aussi? ah! je te le d��fends, entends-tu? Si je ne l'avais pas aim��, lui, il n'aurait pas bris�� ma vie! Si je n'avais pas ��cout�� son langage d'amour, je n'aurais pas la vue affaiblie par les pleurs de ma jeunesse! Oh! non, non, ne l'aime pas! Il te persuadera, il mentira, et quand tu entendras �� ton oreille murmurer un serment qui lie les ames; quand tu sentiras son bras enlacer ton ��tre et attirer ton coeur vers son coeur, repousse-le et va-t'en; sans quoi, tes l��vres closes par ses l��vres te feront oublier ta vie pour vivre de la sienne; et quand il se sera satur�� de ton ivresse, tu le verras se retirer en souriant. Ce sourire te semblera insultant et tu lui demanderas s'il te m��prise. Alors il te r��pondra en haussant les ��paules: ?Parbleu!?
Puis elle recommen?a �� pleurer comme la veille. On m'emmena avec la m��me pr��cipitation, et depuis, on ne m'a jamais laiss��e seule avec ma tante. Cette sc��ne a eu sur ma vie une ��norme influence; car je l'ai toujours pr��sente �� ma m��moire, surtout depuis que j'ai pu la comprendre. De sorte que, connaissant malheureusement les amours de Louise, il me semblait toujours entendre dom Pedro, sortant de ses baisers, le lui dire ce terrible: Parbleu!
Ils le disent tous, ce mot de m��pris, entendez-vous, mes soeurs tomb��es ou entra?n��es vers la chute? Ils le disent tous, et c'est pour vous le faire entendre que je laisse ma plume dominer ma volont��, pour fixer ici ces pens��es.

L'hiver revint et, avec lui, cet encha?nement de plaisirs qui fait, dit-on, de Paris, la ville enchanteresse par excellence. De fait, il y a de quoi satisfaire toutes les exigences; les arts y sont?merveilleusement repr��sent��s, les esprits l��gers y trouvent un renouvellement de banalit��s plus ou moins excitantes; la science y peut ��tre aussi s��v��re qu'on le d��sire; je ne parlerai point des sens, nos moeurs d��g��n��r��s leur faisant la part g��n��reuse!...
Louise effleurait tout et ne jouissait de rien. Seule, la contemplation de dom Pedro la ravissait; sans lui, tout ��tait mort; avec lui, tout ��tait vie, et vie souriante et belle!
Et pourtant elle ��tait inqui��te; Mathilde le voyait trop souvent, n'allait-elle pas l'accaparer? Le pacifique baron ne voulait point le recevoir assez; c'��tait toujours sur moi qu'elle d��versait le trop-plein de son coeur; j'essayais de calmer moral et physique, mais, comme chez toute personne d��s��quilibr��e, le moral subissait trop les influences nerveuses, et semblait diriger sa sant�� m��me; depuis quelque temps, elle maigrissait et palissait d'une fa?on inqui��tante; je me hasardai �� lui en faire la remarque.
--Oh! ma pauvre Jeanne, me dit-elle, je crois que dom Pedro m'aime moins! Il parle de faire un voyage chez lui, en Portugal, o�� il a de grands int��r��ts. Autrefois, il n'e?t pas admis l'id��e d'une s��paration aussi longue, pour n'importe quels int��r��ts!
--Tu ne peux pourtant pas exiger qu'il laisse toute sa fortune d��p��rir, et se r��duise �� la mendicit�� pour te plaire? Pourras-tu le nourrir alors?...
--Ne ris pas, je souffre!
--C'est ta faute!
--Non, de grace, ne parle pas ainsi, je tiens �� ton estime!
--Tu n'en as pas
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