Pauvre petite! | Page 6

Paul Bourget
l'autre; elle avait mis sa main dans la mienne, mais cette main ��tait glac��e, et, instinctivement, mes doigts s'��taient entr'ouverts et je l'avais presque repouss��e. Quels p��nibles instants! Combien dur��rent-ils? je l'ignore: mon coeur battait �� faire ��clater ma poitrine; mes yeux se voilaient, et il me semblait que mes oreilles refuseraient d'entendre un secret fatal, si c'en ��tait un que devait me dire Louise, lorsque, se soulevant �� demi, elle plongea son regard dans le mien et d'une voix ��trangl��e murmura:
--Et toi, alors, si tu me sais coupable, tu me repousseras aussi?
Pour toute r��ponse, je me levai en lui ouvrant mes bras; elle jeta sa t��te sur mon ��paule, et pleura longtemps, puis, se redressant avec fiert��, elle sortit, me laissant terrifi��e, et incapable de me rendre compte de mes pens��es.
IV
Je n'avais pas fait un pas vers Louise, je n'avais pas essay�� de la retenir, et je regardais cette porte qui venait de se fermer sur elle, comme si mes yeux eussent pu la rouvrir et me ramener la ?pauvre petite? des jeunes ann��es, paisible et souriante, ne demandant rien au pr��sent, et ne pensant pas qu'il d?t y avoir un avenir. Mon coeur ne pouvait la croire coupable; cette pens��e me torturait; aussi le sommeil ne vint-il m'engourdir que lorsque le jour commen?a �� se glisser entre mes rideaux.
Savoir Louise sur une pente fatale, quel ��croulement! Mais je voulais ignorer encore qui l'y entra?nait et surtout �� quel degr�� elle ��tait arriv��e. J'en ��tais l�� de mes r��flexions quand il fallut rentrer dans la vie r��elle; la journ��e ��tait avanc��e; l'heure du d?ner approchait, et cet instant de r��union, si gai ordinairement �� la campagne, ��tait pour moi, ce jour-l��, une heure d'angoisse.
N'allais-je pas rougir en l'embrassant? N'allais-je pas jeter un regard inquisiteur et ridicule sur chacun de ses amis?
La position devint facile quand j'entrai dans le salon. Elle ��tait l��, dans tout l'��clat de sa beaut�� sereine, plong��e dans une conversation anim��e avec dom Pedro, plus obs��quieux que jamais.
Matt ��tait l�� aussi, se tenant un peu �� l'��cart, et je vis parfaitement qu'elle ��piait cet apart��, comme un fauve regarde sa proie! Je saisis sur un coin de sa bouche un soup?on de sourire, qui me blessa profond��ment... c'��tait comme si elle e?t encore, comme autrefois dans la serre, nomm�� dom Pedro...
Jusque-l��, cet homme me d��plaisait; mais, d��s lors, je le pris en horreur, enveloppant, sans m'en rendre compte, Mathilde dans la m��me aversion.
On ne pardonne gu��re �� ceux qui vous montrent la v��rit�� quand on veut s'obstiner �� en d��tourner les yeux, et puis j'aimais la ?pauvre petite?. Jules, assis un peu �� l'��cart, se d��rangea seul �� mon entr��e, il avait l'air heureux... je ne crois pas pourtant qu'il f?t du nombre de ces maris tromp��s qui ne savent rien; mais il avait le bon sens de penser que le seul parti �� prendre est d'avoir l'air d'ignorer, si l'on veut rendre un retour possible.

Mon s��jour �� V... fut court, la pr��sence de dom Pedro me troublait, quoique Louise semblat avoir oubli�� sa confidence; et, sous aucun pr��texte, je n'y aurais fait la moindre allusion. Le moment du d��part venu, elle m'embrassa avec effusion et me glissa dans l'oreille:
--N'est-ce pas que je suis heureuse d'avoir un _ami_ comme dom Pedro?...
Je n'eus pas le temps de r��pondre, Jules s'approchait. Je lui tendis la main et sautai dans la voiture... Toute la journ��e, ce mot ?ami? r��sonna �� mon oreille; j'aurais voulu l'en arracher, et pourtant, malgr�� moi, il me faisait sourire!
V
Je me demande pourquoi j'��cris ces lignes? Louise ��tait mon amie, et c'est peut-��tre la trahir? Mais non, car ceci est l'histoire d'une vie bien souvent v��cue. Combien, h��las! qui me liront, croiront se reconna?tre? Aucune particularit�� ne soul��ve le voile dont je la couvre, et, d'ailleurs, Louise est morte.
J'esp��re aussi, en ��crivant ces souvenirs, faire un peu r��fl��chir les jeunes cervelles f��minines qui les liront, car la _n��vrose_ est une maladie plus morale que physique et dont le v��ritable rem��de est de savoir r��sister �� des d��sirs... inavouables!
Il est toujours d��licat de se mettre en avant, mais je vais dire une histoire qui a influ�� et qui influera sur toute ma vie. On en pourra tirer telle conclusion que l'on voudra.
Avec mon p��re, habitait une vieille tante, soeur de ma grand'm��re. Elle avait ��lev�� mon p��re, qui avait ��t�� lui-m��me de bonne heure orphelin; et il avait pour elle une grande v��n��ration. Depuis longtemps elle vivait retir��e dans sa chambre, car elle avait pr��matur��ment vieilli, et ses facult��s mentales en avaient souffert. Elle avait d? ��tre tr��s belle, et lorsque j'��tais toute petite, j'aimais beaucoup jouer avec elle. On nous laissait ensemble des journ��es enti��res; je lui portais mes jouets de pr��dilection... elle me souriait si doucement, pauvre vieille tante!
Un jour qu'on m'avait donn�� une
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