Pauvre petite! | Page 3

Paul Bourget
�� se succ��der... quand j'entendis ma porte s'ouvrir, et mon mari parut...
--Louise, arr��te-toi, m'��criai-je, je ne sais vraiment si je puis continuer �� t'entendre.
--Je t'en supplie, dit-elle, en me for?ant �� me rasseoir et �� l'��couter, il faut que je te raconte, il faut que tu saches, j'ai confiance en toi!... Tu n'es donc plus mon amie?...
--Oh! si, pauvre petite!
Elle continua:
--J'��tais donc la propri��t�� de cet homme, puisqu'il entrait ainsi chez moi, sans me demander si cela me convenait.
��tre la chose de quelqu'un, c'est r��voltant!
Je ne sais ce qu'il pensa, lui, mais il vint s'asseoir tout pr��s de moi, si pr��s que je respirais son haleine; je voulais fuir, et me sentais clou��e �� ma place! Il me fit un signe que je ne compris pas, puis il m'entra?na doucement avec lui et me souleva dans ses bras: l�� je ne sais plus bien ce qui se passa; mais, sous ses baisers br?lants, je ne cherchais plus �� me d��fendre, c��dant �� la violence de ses caresses, quand, tout �� coup, je ressentis une impression in��narrable; je jetai un cri, et perdis connaissance!... Est-ce que tu as perdu connaissance aussi, toi?
--Louise, je t'ai promis de t'��couter, mais non de te faire des r��v��lations aussi intimes!
Dans tout ce qu'elle me disait, je d��m��lais surtout une horreur, une r��pugnance que je ne pouvais comprendre, mari��e moi-m��me depuis peu, heureuse et calme, dans une ivresse que rien ne semblait pouvoir troubler!...

Pauvre petite! comme je l'aimais alors! Il me semblait dans ces entretiens pleins d'abandon qu'elle avait besoin de moi, et que ma patience �� l'��couter ��tait un soulagement pour elle!
II
Son union fut st��rile; dans les premiers temps, elle en eut un r��el chagrin, surtout lorsqu'elle vit un berceau pr��s de moi et qu'elle embrassa mon premier-n��. Souvent elle le prenait dans ses bras et se cachait afin de dissimuler une larme!
Ma petite Louise, pourquoi ne pas avouer que c'est cela qui a manqu�� �� toute ta vie? Voil�� ta seule excuse si on veut bien t'en laisser une. Tu as eu beau ��tre admir��e, tu as eu beau ��tre artiste, rien, vois-tu, n'atteint, comme po��sie, le premier sourire de son fils!
J'ai dit qu'elle ��tait artiste. Oui, elle l'��tait r��ellement; sa voix chaude et caressante remuait jusqu'aux plus intimes fibres du coeur; et quoique son mari n'aimat pas beaucoup la musique, elle avait souvent des r��unions, soit nombreuses, soit intimes, o�� elle se produisait avec un charme incomparable.
Parmi ses habitu��s, dont j'��tais naturellement, il y avait un m��nage d'une laideur remarquable qui l'admirait de confiance, trop heureux d'��tre admis dans un salon ��l��gant.
Ils appartenaient �� cette cat��gorie plate et d��daigneuse qui flatte ceux dont elle esp��re tirer avantage, et qui n'a qu'un sourire de piti�� pour le reste!
Puis une femme brune, grande, au teint mat, qu'on aurait prise pour un marbre antique ��chapp�� �� quelque mus��e, sans ses grands yeux noirs brillants qui vous p��n��traient jusqu'�� l'ame. Elle se nommait Mathilde, et famili��rement nous l'appelions Matt. Oh! celle-l��, si j'avais pu lui fermer la porte de Louise, avec quelle joie je l'aurais fait! Elle me semblait ��tre son mauvais g��nie, et toutes les fois que j'entendais dire dans le monde quelque chose de malveillant sur Louise, je l'attribuais �� Matt. Elle avait une fa?on de dire: ?La pauvre petite?, qui me donnait le frisson.
Je ne crois pas avoir dit encore, pourquoi on appelait Louise: _pauvre petite_; ce surnom lui venait de son enfance; elle ��tait tr��s d��licate, n��e avant le temps, et avait pass�� ses premiers jours envelopp��e dans de la ouate; elle ��tait, para?t-il, si ch��tive, qu'on ne pouvait s'emp��cher, en la voyant, de s'��crier: Oh! la pauvre petite! Maintenant ce surnom ��tait un peu ridicule, �� cause de sa haute taille et de son ��l��gante ampleur, mais l'habitude ��tait prise.
Il y avait aussi, les soirs de musique, quelques amis de son mari. Les uns, peu nombreux, l'��coutaient religieusement, les autres fumaient �� l'��cart, ou causaient sans se pr��occuper du bruit g��nant qu'ils faisaient. Que de fois j'ai eu envie de les griffer!
Mais il faut signaler, entre tous, un ��tre qui, pour moi, tenait du reptile et du tigre, avec l'oeil per?ant d'un fauve, la chevelure trop noire et trop abondante, une facilit�� de parole fastidieuse. Cet ��tre qui r��pondait au nom de dom Pedro ��tait Portugais; onduleux et insinuant, il avait, je crois, fascin�� Louise; quand il ��tait l��, sa voix prenait un charme saisissant; elle se jouait des vocalises les plus ardues et semblait une de ces fleurs n'ouvrant leur corolle embaum��e qu'�� la chaleur d'un soleil radieux, dont le Portugais semblait lui dispenser les rayons! Lui, fier de se voir ainsi appr��ci��, tranchait de tout en ma?tre, lui faisant m��me quelquefois des observations s��v��res, autant qu'absurdes, mais qu'elle acceptait en esclave; son mari d��testait dom Pedro, et pourtant je le
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