Pauvre petite! | Page 2

Paul Bourget
pour ne pas tomber dans la na?vet��.
PAUVRE PETITE!
I
Depuis quand nous connaissions-nous Louise et moi? Je n'en sais plus rien, nous nous ��tions souvent rencontr��es, toutes petites, toutes les deux en grand deuil, elle, de son p��re, moi, de ma m��re. Nos gouvernantes ��taient en relations, nous avions fini par nous parler, nous nous ��tions plu, puis aim��es, et cette amiti��-l��, nous ne l'avons jamais trahie.
Mon p��re, plong�� dans la douleur que lui avait caus��e la mort de ma m��re, avait renonc�� �� toute esp��ce de luxe, et s'occupait peu de moi; il sortait toujours seul et ne me parlait presque jamais. Toutefois il ne n��gligeait rien pour mon bien-��tre et d��sirait que mon ��ducation f?t soign��e.
La m��re de Louise, au contraire, vite consol��e, ne vivant que pour sa fille, travaillait �� grand'peine �� r��tablir une fortune tr��s compromise �� la mort de son mari.
Nos vies se ressemblaient donc, en somme, quoique par des raisons tr��s diff��rentes.
Nous avons ainsi pass�� notre premi��re enfance, nous cherchant toujours et toujours heureuses de nous retrouver. Que de douces heures se sont ��coul��es �� nous confier l'une �� l'autre nos importantes affaires... ces mille riens qui tiennent une si grande place dans les existences de dix �� douze ans,... que sais-je, une promenade projet��e et manqu��e, une le?on plus ou moins bien apprise! �� cet age, on ignore encore quel chapeau sied le mieux, ou quelle robe avantage la tournure; j'avoue pourtant �� ma honte que Louise a commenc�� �� s'en douter avant moi; elle me trouvait jolie, sans doute par bienveillance; quant �� elle, elle devenait tout simplement tr��s belle; aussi, vers la fin de sa dix-huiti��me ann��e, elle fit un mariage inesp��r��, et, c'est le cas ou jamais de le dire: pour ses beaux yeux. Comme son mari ��tait bien alors! Il avait un caract��re des plus aimables, une intelligence au-dessus de la moyenne, et, avec cela, une fortune colossale.
Malheureusement, il ��tait d'une activit�� presque f��brile que ne pouvait supporter la nature indolente et po��tique de Louise.
Elle avait cru l'aimer, comme cela arrive tant de fois, h��las! On se berce d'une esp��rance, croyant tenir une r��alit��!
Comment est-il possible, en effet, qu'une infortun��e cr��ature, ne connaissant du monde que le cercle restreint qui gravite autour d'elle, puisse se faire une opinion quelconque sur l'homme avec lequel elle devra partager son existence?
Elle entre dans la vie de m��nage, comme dans un appartement neuf, duquel elle ne conna?t ni les inconv��nients, ni les avantages; elle ne peut voir la vie qu'�� travers les illusions dont elle enveloppe son r��ve, et le premier qu'on lui pr��sente, c'est le mari qu'elle accueille, en ayant cru le choisir! Si c'est un galant homme, elle a quelque chance de bonheur, sinon elle sera une victime de plus. Quant �� l'attrait, �� la sympathie, �� l'amour... l'amour surtout qu'elle doit �� peine conna?tre de nom, on s'en pr��occupe peu; elle ouvrira le livre de la vie, en commen?ant par la derni��re page, et ainsi le voile, d��chir�� tout �� coup, lui montrera brutalement l'existence et chassera ces r��ves ch��ris qu'elle ne pourra plus jamais caresser!
Lorsque les premiers moments d'amour-propre flatt��, de vanit�� assouvie furent pass��s pour Louise, un d��senchantement absolu s'empara de tout son ��tre, ce fut comme un malaise inexplicable, mais incessant.
Notre intimit��, toujours croissante, fit qu'elle aima, d��s le d��but, �� se confier �� moi, me faisant part de ses impressions les plus personnelles, me d��taillant, avec une pr��cision quelquefois g��nante, toutes les circonstances qui consacrent �� jamais l'union conjugale...
Moments pr��cieux et d��cisifs de l'existence qui sont si souvent remplis d'angoisses, voire m��me de crainte... trop rarement h��las! de charmes!
--Ma Jeanne ch��rie, me disait-elle, tu sais bien que mon sommeil avait toujours ��t�� abrit�� par l'ombre du rideau de ma m��re, comme par l'aile d'un bon ange; j'avais grandi berc��e dans son sourire qui saluait chaque matin mon r��veil... ce doux sourire maternel qui fait croire que la vie est bonne!...
Et voil�� que, tout �� coup, ma m��re dispara?t, me livrant �� un homme avec lequel, la veille, on ne me laissait pas causer seule. Alors je me mis �� trembler, me reprochant ce moment de vertige, o��, triomphant de mes h��sitations, j'avais laiss�� entendre ce mot fatal: ?Oui! je l'accepte pour ��poux!?
Oh! m��res, que vous ��tes coupables, vous qui cachez �� vos filles jusqu'au soup?on de la r��alit��!
Te souvient-il de cette foule qui m'a sembl�� innombrable �� la c��r��monie religieuse? Ces chants pieux, l'autel ��blouissant, le parfum enivrant de l'encens et des fleurs!... que sais-je? mes voiles, ma robe blanche...
Tout ce troublant ensemble se d��roulait en ma m��moire... j'��tais mari��e... du moins pour le monde!
Mais quand ce r��ve d'un jour s'envole et que la nuit descend... quelle chute!
J'��tais seule dans ma chambre, et tout en repassant en moi-m��me cette journ��e, je ne m'apercevais pas que les heures continuaient
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